Écrire le voyage c’est le poursuivre

Quelle belle et riche expérience cet atelier Écrire le voyage proposé par Claire Lecoeur !

Une grande traversée de huit mois, avec huit propositions pour écrire le récit d’un voyage au Québec datant de 2014. Une grande traversée pour faire ressurgir les personnages rencontrés, les lieux explorés, les paysages démesurés traversés avec un fil conducteur le fleuve Saint-Laurent.

Avec ces 8 propositions reçues par e-mail, prendre grand plaisir à revivre ce voyage et, petit à petit, comprendre que pendant ce périple s’est imposée une quête : celle de l’évolution de la place des Peuples Premiers, les Amérindiens, les Inuits, les Métis sur la Terre québécoise qu’ils habitent depuis des millénaires. Sans faire une thèse sur le sujet – je n’en ai pas les compétences -, mais en livrant, à travers mon regard de voyageuse, mes impressions sur ce sujet.

Un atelier magique, puisque ces souvenirs vieux d’une dizaine d’années ont ressurgi au fil des propositions. J’aime brasser la documentation en phase d’écriture, et les huit mois d’atelier ont été propices aux recherches sur internet pour creuser certains sujets.

Les propositions sont suffisamment précises et ouvertes pour faire remonter des bribes du voyage. En complément, les retours très précis de Claire, après l’envoi de chacun des huit textes, sont inestimables pour guider dans la progression de l’écriture. Pour mon récit, je n’ai pas choisi la forme du journal de voyage, j’ai simplement saisi les fragments qui me revenaient en mémoire grâce aux propositions d’écriture.

Merci Claire pour ce beau voyage, et comme tu le dis dans ton texte de présentation de l’atelier, écrire c’est poursuivre le voyage. Pendant ces huit mois, j’ai eu l’impression de repartir au Québec. J’ai aussi voyagé dans les textes d’écrivain.es qui accompagnent chacune de tes propositions, car bien-sûr la richesse de tes ateliers, c’est comme toujours apprendre à écrire et à lire !
Encore une fois tu as joué à merveille ton rôle de passeuse.
Isabelle Vauquois

Isabelle raconte son expérience lors de l’atelier que vous trouverez ici : Écrire le voyage par e-mail

Écrire une histoire de vie par e-mail

“Ce travail que j’ai mené avec vous m’a enrichi et a fait “grandir” mon écriture.”

Nous ne nous connaissions pas, avec Chantal, le jour où elle s’est inscrite à l’atelier Histoires de vies par e-mail. Nous avons travaillé à distance, elle en Ardèche et moi sur les routes où me mènent mes interventions, sur huit séances, sans nous rencontrer autrement que par le biais de son écriture, et de mes retours sur ses textes.

“J’ai eu beaucoup de doutes quant à ma capacité à arriver au bout de cette histoire mais vos retours me motivaient et me faisaient partir sur des pistes auxquelles je n’avais pas pensé.”

L’histoire que Chantal voulait écrire, est celle d’une enfant juive à qui sa mère a toujours caché ses origines. La mère s’était cachée à la campagne avec ses deux enfants pendant la guerre. Ensuite, le secret sur les origines a duré — toute la vie de la mère et jusqu’après sa mort.

“Au début je me demandais pourquoi passer par toutes ces étapes pour en arriver à écrire un texte. Mais toutes les séances d’écriture m’ont servi pour les séances finales, quand vous m’avez invitée à écrire mon récit. J’ai découvert que j’allais puiser dans ces textes initiaux pour enrichir mon texte final, lui donner de la consistance et le rendre intéressant.”

Le récit s’est écrit en deux temps, entre le présent de la lecture d’une lettre laissée par la mère à ses enfants, chez un notaire — quand elle leur dévoile après sa mort le secret de leurs origines –, et les réminiscences du passé, la poids de ce secret pendant la guerre.

“J’ai découvert aussi l’attachement que l’on pouvait avoir pour un personnage. Comment se mettre en quelque sorte dans sa peau pour lui donner chair, crédibilité, force et vie.”

Le récit est vif, incarné. On s’attache à cette fillette obstinée qui sait bien que quelque chose ne tourne pas rond et qui continue à vouloir découvrir ce qu’on lui cache, malgré les dénégations de sa mère.

“J’ai même eu comme une frustration en le quittant. J’avais l’impression qu’il avait encore des choses à dire. J’aurais voulu aussi faire vivre d’autres personnages de l’histoire. Comme une envie de reprendre mon récit et de le continuer. Mais ça c’est une autre histoire !”

Parler de son écriture à une personne inconnue n’est pas simple. Nous avons construit cet accompagnement à deux, et la vie et le travail ont permis que la confiance s’instaure, malgré l’éloignement. Un texte est né, étape après étape. Ainsi qu’un autre regard sur l’écriture.

“J’ai appris à être beaucoup plus exigeante avec mon écriture et ça, il ne faut pas que je le perde.
Chantal Miel”

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Voir l’atelier écrire une histoire de vie par e-mail

Lectures en atelier

Bonjour,

J’aimerais vous inviter à réfléchir à ce qui fait que nos lectures deviennent de réels appuis pour l’écriture de chacun-e, dans l’atelier.

On ne redit jamais assez combien créer rend fragile — combien souvent l’on est confronté aux doutes sur le chemin d’écrire. Si ces fragilités ne s’éveillent pas pour tous aux mêmes étapes du travail, il est difficile d’imaginer d’écrive sans jamais les rencontrer. C’est pourquoi parler des textes dans l’atelier est si délicat.

Quand on parle d’un texte, on ne peut qu’en parler depuis ses goûts de lecteur, et heureusement : c’est ce qui fait la diversité des lectures de l’atelier, qui permet à chaque auteur de découvrir l’effet de ses textes sur les lecteurs.

Mais, dans l’atelier, nous nous adressons à un auteur qui est entrain de créer quelque chose d’encore inconnu pour lui, quelque chose qui fait de lui une sorte de funambule entre ce qu’il cherche à dire et comment il avance à l’écrire. Vous le découvrirez ou le savez déjà : la plupart du temps on écrit sans savoir où écrire nous conduit. Parfois on se trouve emporté dans un flux d’écriture bien au delà de ce qu’on avait imaginé. C’est ça qui est heureux — et inquiétant — avec la création.

Le rôle des lecteurs dans l’atelier, c’est soutenir l’énergie qu’il faut pour prendre soin de ce qui est entrain de grandir dans l’écriture… Peut-être que ce que l’auteur écrit ne correspondra pas à nos goûts… peut-être que ce qu’il écrira nous dépassera complètement… peut-être que ça restera en-dehors de ce que nous pouvons comprendre… ce qui compte, c’est que chacun-e soit accompagné-e à aller où l’écriture l’emmènera.

Aussi je vous propose de vous demander, lorsque vous lirez les textes de l’atelier : qu’est-ce que ce texte m’apprend ? quel est ce monde auquel il m’invite ? qu’est-ce que ce monde vient ouvrir ou déplacer de ce que je connais, ce que je sais, ce que je crois ? Quelle est l’énergie que je sens dans ce texte ?

Et tenter de témoigner de ce qui nous fait autre, que nous apprenons dans les livres, qui se trouverait en germe dans ce texte.

Aller à la page des ateliers

Soif de mots

Vous me dites souvent, en fin d’atelier, combien l’aventure d’écrire a compté pour vous. De plus en plus je vous entends me dire aussi l’ouverture essentielle qu’a été pour vous la lecture, dans l’atelier.

Lecture…

    des textes de chacun lorsque nous en parlons après le temps d’écriture — avec ce soin très particulier de l’écoute littéraire et du respect énoncés comme règle dès le premiers instants de l’atelier.

Lecture…

    des textes littéraires donnés à voix haute pour vous inviter à vous avancer sur les chemins de votre écriture — œuvres choisies pour leur force, leur recherche, ou pour les voix vives qu’elles font parvenir jusqu’à nous à travers un livre.

Lecture…

    enfin des textes que je vous donne en vous racontant ce que leur rencontre a insufflé de souffle, de désir et de sens en la lectrice et l’accompagnatrice que je suis.

Écrire et lire dans l’atelier, ensemble. Voyager dans les mots en dialogue avec ceux que nous trouvons dans les livres. J’ai souvent raconté la place de mes compagnons auteurs lorsque je fais écrire (ces derniers temps avec Tumulte dans l’atelier, et aussi là, dans Traversée).

Aujourd’hui c’est avec Les livres prennent soin de nous que j’aimerais penser la place de la lecture dans mes ateliers. Dans cet essai, Régine Detambel raconte comment les livres nous permettent de vivre et de nous construire, de traverser les épreuves et de nous réinventer.

    « Nous ne nous comprenons que par le grand détour des signes de l’humanité déposés dans les œuvres de culture”, écrit Ricoeur. “Que saurions-nous de l’amour et de la haine, des sentiments éthiques et, en général, de ce que nous appelons le Soi, si cela n’avait été porté au langage par la littérature. »

Oui. La vie, le monde, les autres et nos affects enfouis, oubliés, peuvent nous être rapportés par un livre : il s’agit bien d’ouverture, de gain de sens, de regain de curiosité pour les histoires qui nous font signe — nous nourrissent, nous élargissent, nous transforment.

« Nous souffrons du peu d’imagination des fictions ordinaires qui nous cernent et nous tendent un miroir étriqué », écrit Detambel. Ainsi le pensez-vous sans doute aussi, vous qui parlez de la place de l’atelier dans votre vie comme d’une bouffée d’oxygène. Oxygène d’histoires et de langues qui renouvellent nos points de vue, recomposent nos expériences, enrichissent nos intuitions, nous redonnent goût à vivre en nous sortant du chaos — tant intérieur qu’extérieur.

    « Nous sommes toujours en quête d’échos de ce que nous avons vécu de façon obscure et qui parfois se révèle et se transforme grâce à une histoire, un fragment, une simple phrase. »

Dans l’atelier, la lecture d’une simple phrase fait tout à coup rencontre. Les mots d’un autre ont éclairé une vérité intérieure et ça fait ouverture, ça pousse à écrire dans le désir d’à son tour faire œuvre de mots. Alors quelque chose s’accélère, intérieurement ; quelque chose fait densification, mise en mouvement, bouillonnement… une dynamisation du langage.

Ainsi se découvrent et se fortifient de nouvelles perceptions, de nouveaux entendements. « La littérature est ce qui fermente », écrit Detambel. Le processus s’accélère bel et bien lorsque vous écoutez les textes que je vous lis avant de vous proposer d’écrire, quand la littérature nourrit et ébranle vos subjectivités qui veulent s’énoncer à leur tour en frayant leur chemin dans la langue.

    « À tout âge, la vie humaine est autocréation. Un être ne peut se comprendre, se libérer, répondre de soi que dans la mesure où il a conscience de se produire soi-même, où il se vit comme sujet de son existence.
    À tout âge, créer c’est libérer les possibilités de vie susceptibles d’accroître à la fois la puissance de la sensibilité et la jouissance du fait de vivre. »

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Faire écrire des fictions ?

« Vous verrez qu’on peut raconter une histoire d’amour, une enquête criminelle ou une chronique familiale de mille manières différentes et que ce n’est pas la nouveauté de l’histoire qui compte, mais la manière dont on la raconte. »

C’est Martin Winckler, cet amoureux-raconteur-d’histoires dans l’enjeu de la narration.

Martin Winckler fait partie des compagnons auteurs qui m’ont entourée ces dernières semaines tandis que je préparais le programme des ateliers.

Un premier atelier : l’atelier commencer un récit long.
Perec y rejoint Winckler pour l’amour des histoires « qui se dévorent à plat ventre sur son lit. »

Perec, qui a inspiré Winckler, qui vous inspirera à son tour tandis que je vous écouterai écrire.
(Oui, sans doute est-ce cela qui fait ma posture lorsque je vous accompagne dans l’écriture en atelier : je vous écoute écrire.)

Cette écoute, (accompagnement et traversée) — outre un goût profond pour l’art et mon expérience de la psychanalyse –, cette écoute s’est construite depuis mon amour immodéré pour les histoires qui nous disent les hommes et le monde dans le silence des livres.

Enfin. Avant d’accéder aux voix qui parlent dans le silence des livres, il y eut un passeur ; un passeur et une voix — la voix de mon grand-père me lisant les histoires des frère Grimm (ces collecteurs de légendes), le soir dans la maison du Nord où nous passions ensemble l’été.

La journée, il y avait l’espace immense des plages du Nord et l’attente de la voix qui raconterait, le soir, les histoires qui font le monde habitable, intelligible.

C’est encore Winckler. Il dit que les livres le consolent, l’éclairent, le fortifient.

Avec Winckler, avec Perec et bien d’autres — je vous invite à écrire des fictions qui nourriront notre plaisir d’écouter les histoires qui naissent dans le silence des livres.

Il faut créer

« Il faut créer,
au sens de ce qui est requis par la vie pour qu’elle vive,
pour qu’elle puisse se réjouir de la puissance d’agir qu’elle est
et ainsi persister dans son être. »

Ainsi l’énonce Paul Audi dans Créer, un ouvrage découvert grâce au site de Pierre Hébrard (merci pour cette trouvaille !) : Translaboration.

Tout d’abord saisie par le caractère injonctif de ce « il faut », j’ai fini par me rendre à l’évidence. Oui. Avec Paul Audi je dis : « Il faut créer ». Je le dis depuis ma posture de passeuse et d’accompagnatrice ; depuis l’habitude de faire poids, dans mes ateliers, par mes paroles et mes actes, du côté des forces favorables – qui nous poussent à faire du neuf, créer – contre les forces destructives – qui surgiront pour nous convaincre de notre incapacité, nous détourner vers d’autres tâches prétendument plus utiles, nous empêcher.

(J’ai déjà parlé de cela ailleurs.)

Kafka le disait autrement :

    « Dieu ne veut pas que j’écrive, mais moi je le dois. »

Oui, il la faut, certains jours, la force assertive de ces phrases, pour soi-même comme pour les autres, pour soutenir l’élan à créer.

Quels étonnants endroits, ces ateliers d’écriture. Ces lieux où écrire et être à l’écoute des textes est le plus important. Ces espaces où l’écriture se fait et se parle, se cherche, se travaille — où l’on joue avec les mots, les phrases, les images, le sens, le souffle de la langue.

Oui, je crois que créer nous garde vivants, nous tient éveillés, ouverts — nous sort de nos ornières.

    « Écrire et exister sont une même tâche obscure et une même évidence. Écrire creuse le mystère. Il s’agit de tenter de formuler cette énigme qu’est l’existence humaine, par tous les moyens, des plus sophistiqués au plus rudimentaires. Le sens de la littérature est là. Il demeure là, en dépit de toute l’histoire passée et des pages accumulées. »

Ici, c’est Jean-Michel Maulpoix, déjà cité au sujet de la lecture.

Écrire. Entrer dans le vivant de la recherche de sens. Questionner le monde, questionner la langue et chercher, dans la littérature et en soi, les formes d’une énonciation personnelle. La langue rapporte le monde, avec lui les questions, et l’appel.

Jonas Kamm, Les habitants, Arles 2021

Passeurs

Il est un fait que j’observe depuis longtemps : écrire peut restaurer le désir de lire.

J’ai souvent entendu dire, par les personnes venues écrire en atelier, qu’elles avaient perdu contact avec les livres. Elles faisaient le plus souvent remonter ce fait au début de leur vie professionnelle ; parfois la lecture les avait quittées sitôt sorties de l’institution scolaire.

Or, après quelques temps en atelier, après que leur propre écriture soit devenue plus investie, ces personnes s’animaient en parlant des auteurs qu’elles découvraient.

En atelier je lis, pour inviter dans l’écriture, des textes d’auteurs. Ces lectures sont soutenues par le désir de faire passer ma conviction que les livres nous aident à vivre. Je ne demande pas de compte-rendu de lecture, pas d’analyse savante des textes. J’invite à retrouver goût pour les textes qui nous parlent, nous touchent, à puiser le désir d’écrire dans ces textes.

On écrit en souvenir de, ou en dialogue avec les auteurs qui ont compté pour soi. Dans les ateliers — lieux ou chaque écrivant rencontre des lecteurs — la pratique de l’écriture éveille la curiosité pour les livres. Il faudrait donc commencer par restaurer un rapport personnel, vivant avec écrire, retrouver sens à ce faire, avant de se tourner vers les livres ?

Sur le site du passionné pédagogue Philippe Meirieu, j’ai découvert le texte d’une autre grande et passionnée pédagogue, Maria Montessori. La lecture et l’écriture raconte comment le chemin vers la lecture n’est frayé qu’après l’appropriation de l’écriture. Voyez comme il est joyeux de découvrir ces enfants jouant un rapport physique, sensoriel avec les lettres de l’alphabet sans encore savoir ce qu’elles représentent.

« Je reçus un jour une délégation de deux ou trois mères. Elles venaient me demander d’apprendre à lire et à écrire à leurs enfants. (…) C’est alors que les plus grandes surprises me furent réservées. Je n’enseignai d’abord aux enfants de quatre à cinq ans que quelques lettres de l’alphabet que je fis découper dans du carton par la maîtresse. J’en fis également découper dans du papier émeri, afin de les faire toucher du bout du doigt dans le sens de l’écriture ; je rassemblai ensuite sur une table les lettres dont les formes étaient voisines entre elles, pour rendre uniformes les mouvements de la petite main qui devait les toucher.

La maîtresse aimait ce travail et s’attacha à ce début si important. Nous étions étonnées de l’enthousiasme des enfants. Ils organisaient des processions, brandissant en l’air les petits cartons, ainsi que des étendards, et poussaient des cris de joie. Je surpris un jour un enfant qui se promenait tout seul en disant :

Pour faire Sofia, il faut un S, un O, un F, un I, un A et il se répétait les sons qui composent le mot. Il était donc en train de faire un travail, analysant les mots qu’il avait en tête et cherchant les sons qui les composaient. Il faisait cela avec la passion de l’explorateur sur la voie d’une découverte. »

Plaisir de la découverte, manipulation de la langue, expérimentation de ses effets sur les lecteurs, c’est par cela qu’on commence, en atelier. Ainsi des personnes éloignées de leur propre expression peuvent-elles retrouver goût à ces signes qu’on accumule sur le papier ; aux phrases qui se déroulent et s’étirent ou se suspendent sous la pression des mots qui montent à la page ; au sens qui s’invente progressivement. Si les adultes ne crient plus de joie comme ces enfants qui découvrent qu’ils écrivent dans la classe de Maria Montessori, le plaisir du texte ayant enfin saisi ce qui cherchait à se dire est un plaisir qu’on partage, en formation ou atelier.

plaisir de lire

« Quand, dans la Maison des Enfants, se produisit l’événement le plus important. Un enfant se mit à écrire. Sa surprise fut telle qu’il cria de toutes ses forces : J’ai écrit ! J’ai écrit ! Ses camarades accoururent, intéressés, regardant les mots que l’enfant avait tracés par terre avec un petit morceau de craie blanche.

Moi aussi! moi aussi ! crièrent d’autres enfants, et ils se dispersèrent. Ils allaient chercher des moyens d’écriture ; quelques-uns se groupèrent autour d’une ardoise, d’autres se couchèrent par terre et, ainsi, le langage écrit fit son apparition comme une véritable explosion.

Cette activité inépuisable était comparable à une cataracte. Ces enfants écrivaient partout, sur les portes, sur les murs et même, à la maison, sur les miches de pain. Ils avaient de quatre à cinq ans. L’établissement de l’écriture avait été un fait brutal. La maîtresse disait : Cet enfant a commencé à écrire hier, à 3 heures. »

Explorer la langue. Développer ses propres formes à travers toutes sortes de recherches créatives. S’inspirer de la musique d’un style, d’un thème, d’une histoire transmise par la voix d’un écrivain. Ensuite — parce qu’on a développé un rapport concret avec la langue et les contraintes d’écrire — ensuite s’arrêter, lisant, sur un passage où l’on découvre comment l’auteur s’y est pris, avec ces contraintes qu’on a soi-même découvertes en faisant.

plaisir de lire

Je vous laisse découvrir les différentes péripéties qui séparaient encore les enfants de l’appropriation de la lecture après la joie de se découvrir écrivant, ici : La lecture et l’écriture.

Voir aussi cet hommage à Maria Montessori et sa pédagogie active.

Posture

Je suis dans un jardin.
J’ai trouvé un abri pour l’écriture, à l’ombre d’un grenadier.

À côté du grenadier, un figuier immense donne chaque jour des kilos de fruits – de petites figues violettes dont la peau se fripe avec la maturité ; elles tombent au sol par dizaines, chaque figue avec un bruit léger, plein.

Je suis à l’ombre du grenadier près des fruits qui éclatent sous la pression de la pulpe, s’ouvrent sur des arilles juteuses et des graines rouge vif.

C’est la fin de l’été, le temps des récoltes – je prépare mes ateliers.

Qui serez-vous, qui me rejoindrez pour explorer la langue et l’écriture ?
Quelles voix, quelles fictions, quels mondes singuliers révéleront-ils, cette année, ces ateliers ?

Je suis dans le jardin à l’heure où vient la lumière du soir, si douce après la chaleur de cette fin d’été.
Qui seront-ils, les auteurs et les textes qui m’accompagneront tandis que je vous inviterai à écrire ? Quelles ouvertures aurai-je désir de vous proposer ? Quels parcours vous faire découvrir ?

Je suis dans le jardin encore en friche de ces ateliers – ils attendent les mots qui les feront être, espaces vivants d’invention et de travail de la langue.

Énigme du monde

« Le monde est bien un sphinx qui se tient continuellement devant nous et que nous interrogeons / le sphinx de loin en loin dit un mot de son énigme / dans l’inconnu dense, lourd, qui nous touche, qui nous pénètre et nous enveloppe / une masse claire par rapport à tous les innombrables qui trempent dans le noir de l’espace. »

Alberto Giacometti, Les écrits

Questionner le monde, le pourquoi des choses. Ne pas se lasser de rejoindre l’insatiable curiosité qui nous mobilisait, enfant, à chercher réponse à nos questions.

S’approcher, en cela, de Claude Roy lorsqu’il écrit :
« Un vivant, c’est une énigme qui se pose des questions, un questionneur questionné ».

Ou encore, suivre ce conseil de Bertolt Brecht :
« Rendre étranger le familier, et familier ce qui est étranger. »

Questionner. Ouvrir des brèches dans les savoirs qui nous enferment. Réinventer la lumière et les ténèbres, s’il le faut. Trouver-créer des réponses à nos propres énigmes.

« Le monde est grand mais en nous il est profond comme la mer. »
Rainer Maria Rilke

solitudes

Éveiller l’écriture

Parmi les récits d’ateliers régulièrement partagés sur remue.net, un m’a particulièrement touchée.

Il commençait ainsi :
« Croire, profondément, parce que je crois en l’écriture, parce que je connais le chemin de vérité à soi qu’elle peut être, que ce travail d’écriture pourrait représenter, pour ces personnes, une expérience de vie, une expérience de sens : écrire, c’est avant tout redécouvrir qu’on a chacun une voix, que cette voix est unique, qu’on a le droit de la faire entendre ; et que, la faire entendre, c’est la faire exister. C’est exister. »

Laurence Tardieu a invité, chaque vendredi dans son atelier, des personnes en souffrance psychique à écrire.

« L’un me dit, un jour : « Je suis coupé de moi. Alors, j’aimerais essayer d’écrire, pour me retrouver. Je ne sais pas si vous comprenez ». Quelle plus belle définition de l’écriture ? Écrire, n’est-ce pas en effet tenter de plonger au plus profond de sa nuit, et tenter d’en extraire un son qui soit sien ? »

J’aime que cette expérience d’écritures partagées ait été nommée : traversée.

J’aime que les mots tressés dans l’atelier conduisent Laurence Tadieu à écrire :
« J’ai simplement un peu la preuve de ce que je sais depuis bien longtemps : que l’écriture peut sauver. L’écriture est un rempart contre le chaos. »

J’aime aussi que l’auteure nous confie ses doutes, ses inquiétudes, les questions rencontrées en chemin, ce cahin-caha de l’écriture éveillée en atelier.

« Et, parce que nous étions dans le vrai, nous étions dans la complexité des choses et des êtres : il n’y avait plus : d’un côté le noir, de l’autre le blanc, d’un côté la maladie, de l’autre la bonne santé mentale, d’un côté la souffrance, de l’autre la joie. Il n’y avait plus le passé contre le présent, ou le présent contre le futur. Il n’y avait plus soi contre l’autre, ou soi contre soi. Nous étions dans un espace-temps dans lequel nous tentions de définir chaque sentiment, chaque émotion, chaque situation, comme nous les avions vécus de l’intérieur, et nous savons bien, nous tous ici, que, de l’intérieur, les couleurs n’ont plus les mêmes noms. Elles sont de tels mélanges qu’on ne peut les définir en un mot. »

J’aime, enfin, que l’écriture, énonçant la vérité et la complexité des êtres, ait encore une fois été assaut contre la frontière – ici entre personnes en souffrance et personnes suffisamment bien portantes.

Francis Bacon à Londres