Écrire contre le chaos

« Aujourd’hui encore j’ai le sentiment qu’écrire remet de l’ordre dans le chaos de mes pensées…

… Et dans le chaos du monde par la même occasion. »

Ainsi répondit Philippe Djian à la question Écrire, pourquoi ? posée par Catherine Flohic alors créant les Éditions Argol. Ouvrage déjà cité ici avec la réponse de Colette Fellous.

Écrire contre le chaos, dit Djian, lui qui nous tient constamment en haleine — sans concession au bord du vertige.

Sur l’écriture, dans Lent dehors :

    « Bien sûr qu’ils vont compter tes adverbes, tes malgré que, et mesurer la taille de tes ellipses… c’est leur métier… Mais toi, tu n’es pas en train de te couper une robe de soirée, tu écris un livre ! Ne t’occupe pas de ce qu’on écrit sur toi, que ce soit bon ou mauvais. Évite les endroits où l’on parle des livres. N’écoute personne. Si quelqu’un se penche sur ton épaule, bondis et frappe le au visage. Ne tiens pas de discours sur ton travail il n’y a rien à en dire. Ne te demande pas pourquoi tu écris mais pense que chacune de tes phrases pourrait être la dernière. Laisse le gratter à la porte, il va se fatiguer, ou veux tu que j’aille lui parler cinq minutes ? »

Écrire, pourquoi ?

« Écrire pour retoucher, revoir, réparer, réajuster, recomposer.

Écrire pour revenir. Encore et toujours.
Pour rendre visite aux balbutiements, aux fissures, aux tremblements, aux éblouissement.
Être pile là où on a perdu la voix.
Regarder la stupéfaction, la vêtir, la mettre en scène, la draper, lui offrir des listes infinies de rôles, de masques, de gestes, de couleurs.
Écrire pour être enfin son propre labyrinthe.
Pour le goût du vertige. Pour sauter dans le vide sans mourir.
Pour dire non. Pour désobéir à la chronologie.
Écrire pour se cacher, se perdre, se blottir.
Pour ne pas être soi. Pour respirer mieux.
Écrire pour inviter. Pour être ensemble. Pour le plaisir de faire face. »

Ainsi répondit Colette Fellous avec 41 auteurs, à la question Écrire, pourquoi ? posée par Catherine Flohic alors créant les Éditions Argol.

Avec Annie Dillard

« Qui m’apprendra à écrire ? désirait savoir un lecteur ? »

    « La page, la page, cette blancheur éternelle, la blancheur de l’éternité que tu couvres lentement, affirmant le griffonnage du temps comme un droit, et ton audace comme une nécessité ; la page, que tu couvres opiniâtrement, que tu détruis, mais en affirmant ta liberté et ton pouvoir d’agir, comprenant que tu détruis tout ce que tu touches, mais le touchant néanmoins, parce que agir vaut mieux qu’être là dans l’opacité pure et simple ; la page dans la pureté de ses possibilités ; la page de ta mort, à laquelle tu opposes toutes les excellences défectueuses que peut réunir ta force vitale : cette page t’apprendra à écrire. »

De En vivant, en écrivant, d’Annie Dilllard, je transcrirais volontiers d’autres passages tant l’ouvrage m’est une compagnie précieuse.

    « Si tu étais un guerrier zoulou frappant ton bouclier avec ta lance pendant quelques heures en compagnie de cent autres guerriers zoulous, alors tu serais peut-être à même de te préparer à écrire. Si tu étais une vierge aztèque sachant des mois à l’avance qu’un certain matin les prêtres allaient te précipiter dans un volcan brûlant, et si tu passais tous ces mois en purifications rituelles et à boire des liquides douteux, tu serais peut-être, le moment venu, prête à écrire. Mais comment, si tu n’es ni un guerrier zoulou ni une vierge aztèque, comment te préparer, toute seule, à entrer dans un état extraordinaire par une matinée ordinaire ?
    Comment lancer la toupie ? Où trouver un bord – un bord dangereux ? Où le chemin de ce bord et la force de le gravir ? »

D’autres parlent du livre sur la toile : ici un passage que j’avais projet de vous transmettre, sur ce que nous cherchons dans la lecture, de L’ivre de lecture.

Et ici, une lettre de la Magdelaine, d’un amoureux de la littérature et de la psychanalyse, ami cher à ce titre, disparu depuis peu : Ronald Klapka.

Parce qu'une femme

Avec François Gantheret

Écrire, chercher ses mots dans l’extrême diversité du langage… se laisser trouver par les mots.

« Que cherche celui qui écrit ? Dans son mouvement premier, le mot juste, celui qui dirait très exactement, sans zone d’ombre, sans flou et sans reste… qui dirait quoi ? Pour peu qu’il soit écrivain celui-là reste la plume en l’air, au-dessus de la feuille, car ce qu’il a à dire, il ne le connaît pas vraiment ; et même pas du tout. Il tente de donner une forme à une nécessité interne de formuler, de figurer, et tout ce qui lui vient sous la plume n’est jamais, vraiment, “ ça ”. Et le rapport à la parole semble s’inverser. Il ne s’agit bien vite plus de maîtriser les mots, ce sont eux qui s’imposent. Tout écrivain en a, d’une façon ou d’une autre, témoigné : il ne saurait mettre les mots à son service, il est au service des mots. Celui qui vient semble juste, et même le plus exact, et cependant il hésite, et il en trouve un autre et il hésite encore, et c’est un autre qui s’impose, qu’il ne trouve pas mais qui le trouve. »

François Gantheret, Moi, Monde, Mots (Gallimard, Connaissance de l’inconscient, 1996)

Mais que serait le sourire de la Joconde sans les mirabelles du fond de ton jardin ?

Mais que serait le sourire de la Joconde sans les mirabelles au fond de ton jardin ?

Avec Olivier Rolin

« L’écriture, affaire d’énergie ? Oui, j’ai toujours conçu ça comme une lutte, une empoignade. »

« Écrire, c’est chercher, fouiller, aller et venir dans l’immense magasin du lexique, c’est sculpter à grands coups de masse, de burin dans la pierre des mots, c’est les obliger à prendre forme, les plier à prendre toutes les formes, c’est dompter le fauve fabuleux. »

« Écrire c’est cette lutte, cette tauromachie avec les mots, mais c’est par amour des mots, évidemment, c’est une lutte amoureuse. C’est une lutte entreprise dans la croyance qu’en les domptant, en les charmant, les mots, on peut tout dire, c’est-à-dire tout évoquer, tout susciter, absolument tout : l’infime, l’immense. »

C’est Olivier Rolin qui répond aux questions d’Yves Charnet sur le travail d’écrire, dans un bel entretien sur remue.net : Tauromachie avec les mots.

Rineke Dijkstra, Toreros, Arles 2021