Écrire pour se trouver ?

Écrire… pendant un an nous avons écrit ensemble, avec les professionnels du Service d’Accompagnement à le Vie Sociale d’Etrepigny.

Ils sont maintenant les auteurs de Le temps qu’il faut, aujourd’hui publié chez L’Harmattan.
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Le dernier jour de notre atelier, j’ai proposé que l’écriture se saisisse du chemin que nous avions parcouru ensemble, depuis le projet du livre jusqu’à son aboutissement. Il s’agirait de l’écriture et de ce qu’elle représente pour soi, de l’expérience de l’avoir partagée dans l’atelier, de son évolution — les textes seraient publiés ici, pour les lecteurs intéressés par l’écriture et son évolution dans les ateliers.

Je ponctue ces textes d’images glanées, le lendemain, au musée et dans la maison de Rimbaud, à Charleville Mézières.

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« Écrire pour se trouver, pour se retrouver, pour se lâcher. L’écriture dompte plus facilement les mots que ma voix, je contrôle moins le stylo que ma parole. Comme si la spontanéité devait passer par l’outil scripteur. Paradoxe, l’écrit filtre l’émotion, permet l’expression vraie. Mais la relecture corrige et corrige, encore parfois rétablit la censure innée.

Pour l’ouvrage que nous avons écrit ensemble, je n’ai jamais douté. J’ai confiance en nous et la confiance en Claire a été évidente dès la première rencontre. Travailler dans le respect et la bienveillance, savoir faire émerger la capacité de chacun à écrire, cela a fonctionné. L’écrit nous a réunis dans un partage d’émotions, de rires et de larmes, de beaux textes.

Pour moi cela a été du plaisir. Voir se composer au fil des rencontres ce livre qui nous rassemble et nous ressemble et qui donne à voir le travail invisible avec des personnes handicapées. Un ouvrage fondateur.

Écrire pour dire, écrire pour se dire. J’écris donc je suis. »
Sylvie Blanchemanche

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« Je me souviens très bien des premiers temps d’écriture. Pas que je n’écrive jamais, au contraire. C’est une façon bien à moi de mettre en mots ce qui reste coincé, là, quelque part, au fond du gosier ! L’écriture allège, adoucit, elle peut être brute aussi mais elle est avant tout personnelle ou dédiée à un proche.  Ici, j’ai très vite ressenti chez Claire l’envie de nous faire « lâcher prise ». Nous allions devoir nous dévoiler un peu. A cet instant l’écrit, que j’utilise pour tout, ou rien, avec réflexion, ou sans, d’un coup m’a fait peur. Il allait falloir s’exprimer autrement.

J’ai touché du bout des doigts la peur d’une page blanche. Ce moment où nous avons tant de choses à dire mais où rien ne vient. La crainte d’être à coté, de ne pas trouver les bons mots, de ne pas avoir l’inspiration suffisante mais aussi celle de trop en dire et de se mettre, sans le décider vraiment, à nu.  Puis, au fil des séances l’écriture est apparue moins grave. La bienveillance de chacun permettait un certain soulagement, un certain apaisement, je voyais la possibilité d’une ouverture vers l’autre.

Nous avons tous joué le jeu, plus ou moins facilement, mais qu’il était agréable d’écrire, d’entendre notre quotidien avec toute l’élégance et la poésie que l’on met dans l’écriture. Aujourd’hui, cet atelier, je le vois comme une opportunité qui m’a été donnée d’exprimer les émotions traversant notre quotidien professionnel ; d’avoir cette chance que l’écrit nous offre d’être sans doute plus vrais, plus sensible et plus juste ; d’être au plus près des personnes que nous accompagnons en allant chercher au plus profond de notre esprit, le détail, le bon mot, celui qui fait la différence. L’écriture du cœur, puisque c’est, me semble-t-il de celle-ci dont il a été question pour donner naissance à notre livre me parait plus accessible, moins fermée aux autres, désacralisée. Il en ressort même un certain plaisir. La satisfaction du travail accompli.

Je m’autorise à être fière par ce que je n’imaginais pas pouvoir faire. Je prends conscience que l’écriture est un indispensable compagnon de route si l’on prend le temps de l’apprivoiser. Un entre deux libératoire qui ouvre au monde, aux autres. Telle la lecture, mais ça, je le savais déjà. »
Françoise Pougeas

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« Quand on a abordé cette formation aux écrits professionnels, j’étais très réticente, je ne voulais pas la faire. Déjà ces mots ne me plaisent pas. Écrire : je ne sais pas ! Écrits professionnels : ça me gave ! Pour moi, c’était mettre des mots stéréotypés pour caser des gens dans des grilles et avoir un semblant de style pour des lecteurs qui ne lisent pas, mais qui calculent.

Puis j’ai découvert des écritures qui m’ont parlé, émue, emmenée. Je me suis aperçue que tous, nous étions capables de faire transpirer les mots dans les textes. Ils nous apportaient le plaisir d’écouter, de voyager chez les uns, chez les autres, pour mieux comprendre les situations, et notre vécu aussi. Nous mettions du nous avant de mettre du eux.

Pour les autres auteurs du groupe, très sincèrement, leurs récits m’ont permis de penser qu’on pouvait travailler ensemble, car ces mots employés, si différents les uns des autres, sonnent tous une même musique – la sincérité, la difficulté, le respect.

Alors, même si je n’ai toujours pas les compétences requises pour devenir écrivain, j’ai su tenir un stylo, c’est déjà bien ! »
Marie-Noëlle Lamotte.

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« Je suis issue d’un milieu modeste, ma famille paternelle est nordiste et nous avons tous entretenu cet accent qui à l’oreille n’est pas aussi joli qu’un accent du soleil, mais il fait partie de nos racines, c’est notre patrimoine. Ma grand-mère maternelle a plusieurs accents qui ne se distinguent pas vraiment. Elle a vécu dans différentes régions et sa façon d’écorcher les mots nous fait grincer les dents, à ma mère et à moi, nous la reprenons souvent – la conjugaison notamment. Mon frère, lui, est un génie ; au lycée il corrigeait même ses propres professeurs de français. J’ai souvent été complexée, par le passé, de l’aisance de mon frère et de ma mère à parler, à écrire. J’aime écrire mais malheureusement j’écris comme je parle, sans poésie, au contraire ! Je n’ai absolument pas confiance en moi quand j’écris, je me dévalorise dès les premières lignes, j’ai pas le niveau qu’il faut, j’aimerais être plus cultivée.

Cependant, mes écrits me ressemblent, ils sont simples, accessibles. C’est assez paradoxal, mais j’aime les mots. Je les trouve beaux, leur sonorité est presque mélodieuse. Lorsque j’écris dans ma vie personnelle, c’est parce que le langage oral ne me permet pas d’exprimer tout ce que je veux. De nature émotive, l’écrit me permet la mise à distance et de ne pas affronter directement le regard et l’expression de l’autre. J’ai beaucoup de pudeur à exprimer ce que je ressens à l’oral. Les écrits restent, peuvent être lu et relus… contrairement à la parole, qui s’envole. »
Audrey

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Rimbaud

« Écrire pour moi, est, comme pour beaucoup d’autres choses, aussi attirant qu’effrayant, aussi motivant que figeant… Les premiers moments de cet atelier ont été un bras de fer avec moi-même : oser montrer, me dévoiler devant ces Autres, mes collègues, que je n’avais pas encore apprivoisés.

Mes écrits professionnels, en tant que psychologue, font appel à un vocabulaire technique, distancié, où il n’y a pas vraiment besoin de se mouiller. En revanche, pour cet atelier, j’ai dû y mettre du mien, mais aussi de moi…

Quoiqu’il en soit, dans toutes formes d’écrits, mes forces d’empêchement sont là : trouver le mot le plus juste, faire des phrases les plus parfaites possibles… Bref, l’idéal de perfection au détriment de bien d’autres choses.

Pourtant, lorsque je relis mes écrits, parfois anciens, j’éprouve souvent de la satisfaction, étonnée d’en être à l’origine.

Il m’arrive souvent de relire les textes que j’ai écrits pendant l’atelier d’écriture, dans des moments de doutes ou de houle. Je les fais également lire, de plus en plus, à mon entourage car je me sens fière de moi et convaincue que le vieux diesel que je suis peut, à son rythme, et en déposant les armes, écrire, tout simplement. »
Sarah

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« Quand nous avons commencé à parler d’un ouvrage sur notre travail, qui plus est rédigé par l’équipe, je ne parvenais pas à me projeter. À chaque séance, je me disais : « Est-ce que je vais être capable de transmettre quelque chose ? »

Au fil du temps et des mots, j’ai apprécié écrire. En fin de compte, je me rends compte que ça n’est pas si difficile (même si quelques barrières persistent encore), et ça fait du bien ! Chaque lecture de texte a permis de partager entre nous, d’amener une approche et une réflexion différentes sur le travail effectué avec les personnes que nous accompagnons. Nous avons laissé libre cours à nos émotions. Maintenant, je me surprends parfois à me sentir fière de mes écrits et cela relève du miracle.

C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai eu des difficultés à supporter les propositions de retouches sur mes textes, alors que ce n’est pas le cas d’habitude. Même si je comprends la nécessité de ces corrections, des sentiments contradictoires font alors surface. Je suis déçue car j’ai la sensation de perdre une partie de mon texte, de ne plus en être tout à fait l’auteure et de ne plus partager totalement mon ressenti. Mais je reconnais que le changement améliore la compréhension de mon écrit et facilite sa lecture. »
Brigitte

musée Rimbaud, Charleville Mézières

Les formations pour écrire un ouvrage sur les pratiques se trouvent ici

Chaufferie des imaginations

J’avais proposé de vous accompagner dans l’écriture de fictions.

Il s’agirait de la compagnie des livres qu’on aime, de notre goût partagé pour les intrigues, de chaufferie de l’imagination, de fabrique d’histoires.

Ensemble nous avons joué, vous avez cherché l’inspiration, inventé des personnages, des enjeux, des intrigues… Les techniques narratives ne nous ont pas fait perdre de vue qu’une histoire trouve sa force lorsqu’elle répond à une nécessité pour son auteur. Nous avons d’ailleurs commencé par cette question, le premier jour, avec Italo Calvino : sur quelle étagère et parmi quels autres romans le vôtre – celui que vous seriez seul(e) à pouvoir écrire – trouverait-il sa place ?

« Pour quoi écrit-on un roman ? (…) On écrit un livre afin qu’il puisse être placé à côté d’autres livres, pour qu’il entre sur une étagère hypothétique et, en y entrant, la modifie en quelque manière, chasse de leur place quelques volumes ou les fasse rétrograder au second rang, provoque l’avancement au premier rang de certains autres. »
Italo Calvino, La machine littérature.

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Nous avons retrouvé Italo Calvino deux jours plus tard (après combien de voyages en imagination ?), avec le principe du jeu combinatoire qu’il énonce dans La machine littérature.

Le processus de l’art est « analogue à celui du jeu de mots ; c’est le plaisir infantile du jeu combinatoire qui pousse le peintre à expérimenter certaines dispositions de lignes et de couleurs, et le poète à tenter certains rapprochements de mots ; à un moment donné, se déclenche le dispositif précis par lequel une des combinaisons obtenues (…) se charge d’une signification inattendue ou d’un effet imprévu, auxquels la conscience ne serait pas parvenue intentionnellement : une signification inconsciente, ou, du moins, la prémonition d’un sens inconscient. »

Avec lui, nous avons joué.

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La voix d’Italo Calvino était avec nous.

« Tout commença avec le premier conteur de la tribu.
Alors déjà, les hommes échangeaient des sons articulés, liés aux nécessités pratiques de la vie ; déjà existaient le dialogue, et les règles que le dialogue ne pouvait pas ne pas suivre ; telle était la vie de la tribu : un code de règles complexes sur lequel devait se modeler toute action et toute situation. Le nombre des mots était limité : aux prises avec le monde innombrable et multiforme, les hommes se défendaient en lui opposant un nombre fini de sons diversement combinés. De même, les comportements, les usages, les gestes étaient précisément déterminés, et toujours répétés, dans la récolte des noix de cocos ou des racines sauvages, dans la chasse au buffle ou au lion, dans le choix d’une femme – qui créait de nouveaux liens de parentèle hors du clan –, dans l’initiation à la vie et à la mort. »

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« Le conteur se mit à proférer des mots, non point pour que les autres lui répondent par d’autres mots prévisibles, mais pour expérimenter jusqu’à quel point les mots pouvaient se combiner l’un avec l’autre, s’engendrer l’un l’autre (…). Le narrateur ne disposait que d’un petit nombre de mots : jaguar, coyote, toucan, pirana, ou bien fils, beau-père, oncle, femme, mère sœur, bru ; les actions que ces êtres pouvaient accomplir étaient tout aussi limitées : naître, mourir, s’accoupler, dormir, pêcher, chasser, grimper sur les arbres, creuser des tanières dans le sol, manger, déféquer, fumer des fibres végétales, interdire, transgresser les interdits, offrir ou voler des objets ou des fruits – objets et fruits classables à leur tour selon un catalogue limité. »

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« Le narrateur explorait les possibilités implicites de son langage, en combinant et permutant les êtres, les actions et les objets sur lesquels ces actions pouvaient s’exercer ; il en naissait des histoires, des constructions linéaires qui présentaient toujours des correspondances, des oppositions : le ciel et la terre, l’eau et le feu, les animaux qui volent et ceux qui creusent leur gîte, chaque terme ayant son cortège d’attributs, son répertoire d’actions. Le déroulement des histoires permettait certaines relations entre les éléments et en excluait d’autres, certaines successions et non d’autres : l’interdit devait précéder la transgression, la punition devait la suivre ; le don des objets magiques devait venir avant l’affrontement des épreuves. Le monde fixe qui entourait jusque là l’homme de la tribu – constellé de signes établissant des correspondances fugitives entre les mots et les choses – s’animait à la voix du narrateur, s’ordonnait dans le flux du récit-discours, à l’intérieur duquel chaque mot acquérait de nouvelles valeurs, qu’il transmettait aux idées et aux images qu’il désignait ; tout animal, tout objet, tout rapport acquérait des pouvoirs bénéfiques ou maléfiques, des pouvoirs qu’on dira magiques et qu’on pourrait plutôt appeler pouvoir narratifs : potentialité que détient le mot, faculté de se lier à d’autres mots dans le champ du discours. »
Italo Calvino, La machine littérature.

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Pendant quatre jours vous avez écrit, nous avons joué – combien avons-nous voyagé ?
Nous quittant, le dernier soir, habitées de toutes ces histoires inventées et partagées, nous n’étions plus les mêmes.

Écrire des histoires de vie

Vous désirez écrire une vie ?

… la vôtre ou celle d’un autre, ou encore la vie d’un personnage né de votre imagination ?

L’expérience humaine peut s’écrire de mille manières et le plaisir de cet atelier est là : chercher, explorer, découvrir, rendre vivant.

Commençons par caractériser votre personnage, l’incarner en le faisant vivre dans des scènes. Cherchons qui va raconter l’histoire et quelle sera la voix de la narration. Collectons les éléments d’une trajectoire…

Des vies, « telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime.” (J.B. Pontalis pour la collection L’un et l’autre chez Gallimard)

Nous parvenons au constat que, pour écrire une histoire, il faut un angle, ou une quête. Le personnage manque de… réalisations, amour, reconnaissance, paix avec soi-même, réussite professionnelle… quoi d’autre encore ? Donc il se met en marche, rencontre des obstacles, les dépasse, etc.

Étape après étape, l’atelier vous accompagne sur les chemins de l’écriture d’une histoire de vie. Vous donnez du goût, de la chair, de la présence à votre personnage et à vos scènes. Vous mettez l’histoire en musique, cherchez son rythme, ébauchez la structure de votre récit.

Ainsi, peu à peu se précisent les enjeux de l’histoire. Ainsi vous approchez-vous du mystère de celui, celle, à qui vous donnez vie en l’écrivant.

    « Une vie : études, maladies, nominations. Et le reste ? Les rencontres, les amitiés, les amours, les voyages, les lectures, les plaisirs, les peurs, les croyances, les jouissances, les bonheurs, les indignations, les détresses. » Roland Barthes



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Petites formes

La petite forme, c’est le plaisir de la saisie.

Art de la cueillette et de l’esquisse, la petite forme s’approche du travail du peintre, elle aiguise tant le regard (la perception, le souvenir) que l’écriture elle-même.

On appelle aussi la petite forme fragment.

Après la première récolte, la petite forme demande de travailler la matière saisie — la reprendre comme on pétrit une terre, ou plutôt comme on taille une pierre, avec patience, précision… jusqu’à atteindre la condensation et la musicalité qui rendront une atmosphère, une respiration, un rythme – et feront vibrer les silences (les blancs) entre les fragments.

La petite forme, c’est aussi le plaisir de ciseler, tailler, renforcer ou atténuer, choisir l’angle… un plaisir d’artisan, d’orfèvre.

Dans mes ateliers, on travaille souvent les petites formes.

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Avec Danièle Sallenave

Je plonge, préparant l’atelier « Écrire le voyage », dans les livres.

Je feuillette avec bonheur les ouvrages classés voyage dans ma bibliothèque jusqu’à trouver la couverture bleue de la collection L’un et l’autre créée par JB Pontalis chez Gallimard : Le principe de ruine de Danièle Sallenave.

Danièle Sallenave raconte sa rencontre avec l’Inde. Je me souvenais avoir été touchée par la rigueur de son écriture et de sa recherche. Comment dire, « sans crainte d’outrepasser sa compréhension des choses », le plus étranger à soi qui puisse être ?
L’écriture accompagne le voyage.

    « Pli après pli, le monde se livre, feuilles d’arbres et cris d’enfants, pierre sombre des anciens temples, yeux noirs et robes claire du jeune prêtre. Pli par pli un peu plus tard, quand, somnolant vaguement après le repas, je plonge le visage dans les feuilles du cahier qui depuis le début du voyage ne m’a pas quittée, et où je retrouve dans l’odeur des pages salies, et celle des fleurs que j’y ai mises à sécher, la vision d’une couleur jaune carminée, mêlée au sourd bruit d’un gong, mêlée au clapotis que fait un buffle s’ébrouant dans une rizière, mêlée au cri des corneilles, mêlée au son douceâtre, mélancolique, répété, de l’harmonium qui guide le chant de deux musiciens, dans la cour d’un temple. »

Dans un premier temps l’écriture mate, à peine structurée, cherche à saisir le choc de la rencontre.

    « Impossible de mettre des verbes dans mes phrases : ce serait y introduire un principe d’activité en contradiction avec l’état de sidération où les choses vues me plongent. »

Puis, au moment de la rencontre avec Calcutta, le récit bascule. Alors s’élabore Le principe de ruine qui apporte à l’impensable rencontre le secours d’une construction de pensée. Alors se trouve la voix de celle qui cherche dans l’écriture la vérité de son voyage.

    « Il ne me reste qu’à creuser ce que je reçois, avec gratitude et profondeur, comme ma propre expérience et mon propre destin : le desserrement de mes propres certitudes, l’émergence des questions nouvelles que je peux à peine formuler, l’apparition fugitive et glissante de quelques autres manières d’être et de voir qui s’effacent aussitôt. Car je ne cherche pas l’immobilité, le face-à-face, la maîtrise : plutôt que ce monde me fasse de légers signes et que je sache les capter. »

Capter, pour l’écrire et le penser, les signes que nous envoie le monde est l’expérience que je propose dans l’atelier « Écrire le voyage ».


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Accompagner la naissance de vos personnages

Pendant cinq jours je vous ai accompagnées et vous avez écrit — c’était l’atelier Personnages.

Où se trouve l’inspiration, entre la vie, le monde, l’imagination ? Nous avons commencé par explorer différentes sources d’écriture. Certains personnages sont venus de ces espaces entre rêves et rêverie langagière où naissent les imaginations ; d’autres ont surgi de vos expériences, de vos rencontres. Le deuxième jour, ils s’étaient invités dans vos textes, ils étaient là.

« Un jour, ils sont là. (…) Là, à la frontière entre le rêve et la veille, au seuil de la conscience. Et ils brouillent cette mince frontière, la traversent avec l’agilité d’un contrebandier. » (Sylvie Germain, Les Personnages.)

Il s’agissait de donner à ces personnages surgis dans vos textes la vie qu’ils demandaient.

Le personnage « est si passionnément désireux de passer dans la langue, d’être accueilli dans l’écriture, qu’il fait vibrer le langage en sourdine. (…) Alors le langage se met à remuer étrangement dans la pensée encore indécise de l’écrivain sollicité. Il remue, il remue, comme une eau inquiète, une lave en tourment, balbutiante. » (Sylvie Germain, Les personnages.)

Qu’est-ce qu’un personnage de fiction ? Comment le rendre vivant, le mettre en mouvement, le donner aux lecteurs au point où il restera inscrit dans les mémoires ?

Ensemble, nous avons travaillé à donner du goût, de la chair, des objets, de la présence à vos personnages.

« Que les corps se lèvent, marchent et l’espace de trois phrases, dans l’esprit des lecteurs, apparaissent, soient là et vivent. » (Pierre Michon, Le roi vient quand il veut.)

Vos personnages ont pris consistance dans les situations que vous inventiez pour répondre à mes propositions d’écriture. Ils gagnaient en présence. Leurs mondes prenaient vie.

« Je vis parmi mes semblables — les clodos, les estropiés, les charlatans, les mémères à chats (…) Gertie qui a plus de permis pour une bête histoire de feu rouge, alors elle a rempli sa voiture de terre et elle l’a transformée en pot de fleurs ; (…) Jérémie qui a parcouru deux cent mille kilomètres sur son vélo d’appartement, cent bornes par jour depuis seize ans, cinq fois le tour de la Terre sans rien voir d’autre que son papier peint, et on va fêter ça dignement, parce que ce soir on monte tous chez lui, il y aura sa copine, énorme, d’une addiction à la mayonnaise, et leur chat, debout sur une guitare, qui grattera doucement les cordes… » (Régine Detambel, Martin Le Bouillant, publie.net.)

Vous avez confronté vos personnages à des conflits selon les principes de la narration, de la dramaturgie. Texte après texte, vous avez dessiné les intrigues qu’ils vous inspiraient — vous êtes entrées dans le récit.

Nous étions, tout le long de cet atelier, en compagnie de : Virginia Wolf, Elizabeth George et ses secrets d’écrivain, Sylvie Germain, Bond, Sarraute, Maupassant, Duras, Michon, Desbordes, Bergounioux, Carver, Brautigan, Poe, del Castillo, Roth, Pierette Fleutiaux, Régine Detambel, Jeanne Benameur, Katarina Mazetti, Elise Turcotte, Christine Comencini, Lorette Nobécourt, François Bon et sa belle proposition sur Koltès, Philippe Fusaro, Proust, Camus, Sophie Calle…

Vous en avez rêvé parfois, ils vous ont saisies, vous les avez créés – Violette, Naïda, Denise, Bernard, Lucile, le commissaire D… Nous étions nombreux, les derniers jours autour de la table, avec cette connaissance de chaque personnage que permet l’écoute attentive des textes dans l’atelier – nous étions nombreux, et vivants.

naissance d'un personnage

Écrire le monde avec Bernard Noël

L’écriture de notation saisit le monde tel celui qui écrit le perçoit ; je fais travailler perception et saisie selon l’angle du regard en m’appuyant sur le travail de Bernard Noël.

Donner à voir…

Je m’appuie sur les mots d’Effing, l’aveugle irascible de Moon Palace (Paul Auster), lorsqu’il exige que le jeune homme l’accompagnant dans les rues lui décrive ce qu’il voit : « Sacredieu mon garçon, servez-vous de vos yeux ! Je ne vois rien et vous vous contentez de me débiter des sornettes à propos de « réverbères standards » et de « plaques d’égouts parfaitement ordinaires ». Il n’existe pas deux choses identiques, n’importe quel abruti sait cela. Je veux voir ce que nous regardons, sacredieu, je veux que vous me rendiez ces objets perceptibles ! »

Puis, avec Bernard Noël, j’avance la question du regard. 

« La vue n’est pas un constat, c’est une lecture. Nous lisons le visible tout en croyant regarder la réalité. »

« Ce que nous voyons ressemble à ce que nous pensons comme ressemblent à la pensée du peintre les choses qu’il a figurées sur sa toile. »

Passant par la subjectivité du regard, la saisie sensible du réel permet d’envisager un monde parsemé de signes — décryptable.

« Nous voyons moins le monde que le sens qu’a pour nous la partie du monde que nous regardons. »

Un monde insaisissable dans son entièreté, mais « lisible » par chacun — nommable.

« Ce qui est devant nos yeux, et que nous appelons la réalité, ressemble à ce qui est derrière eux, et que nous appelons la mentalité. Seulement notre mentalité sélectionne, précipite, cristallise, abstrait à une vitesse telle que nous oublions le processus. Avant d’apprendre à parler, chacun de nous a vu. Et c’est du regard que procède la parole. »

Dans les ateliers d’écriture littéraire, nous cherchons comment caractériser les regards.

Énoncer, dire.

« Voir, dit le Petit Robert, c’est percevoir les images des objets par le sens de la vue. Voir, dit Littré, c’est recevoir les images des objets par le sens de la vue. »

De l’énonciation des regards, nous cheminons vers les points de vue, la narration.

« Les mots nous permettent de faire se rencontrer des choses qui jamais ne se rencontrèrent, et cette rencontre irréelle devient la réalité de la pensée. »

Ainsi se travaillent les liens entre monde, regard, et langage. Ainsi chacun peut-il s’attacher à nommer, du monde, ce qu’il perçoit.

« La réalité existe en soi : elle se suffit, elle ignore l’humain qui, faute de pouvoir lui rendre la pareille et contraint d’avoir des rapports avec elle, invente la relation. »

« Maintenant, je suis derrière une table quelconque sur laquelle on a placé une jacinthe. Cette fleur se trouve entre mes yeux et la lumière, qui vient d’une fenêtre proche. Lumière douce. Lumière qui baigne. Soudain, la jacinthe m’apparaît moins chargée de corolles que couverte d’air.
Une fleur d’air. »

fleur d'air

Lire le dossier Bernard Noël de remue.net, notamment : Le fictif et le réel

Transmettre un métier de présence

J’ai accompagné un groupe d’infirmiers en psychiatrie à écrire des récits de pratiques. L’accompagnement s’est déroulé dans le cadre d’une formation recherche conduite par le CNAM et prise en charge par l’hôpital Maison Blanche.

Les articles des infirmiers ont été publiés en recueil dans un numéro spécial de la revue Éducation permanente : Être là, être avec, les savoirs infirmiers en psychiatrie. (J’avais alors écrit un article relatant notre “traversée d’écriture” – lisible : ici.)

Récits de pratiques d'infirmiers de l'hôpital Maison Blanche

Être là, avec l’autre. Avec les soins qu’il demande, avec les mots qu’on lui adresse, qu’il adresse. Être là — l’écrire ?

Écrire en tant que sujet éprouvant les situations qu’il traverse — les rencontres, les soins, la continuité de présence, les paroles qu’on échange de part et d’autre de la frontière entre soignants et soignés.

« C’est dans la quotidienneté, dans le vivre avec, qu’on peut faire quelque chose, disait Lucien Bonnafé dans Histoires autour de la folie. Faire, avec. Travailler avec des éléments très simples ; avoir faim, préparer un repas, établir un contact. Faire circuler la parole. Ce faisant, apprendre à gérer quelque chose de l’angoisse. »

« S’il y a des relations humaines, quelque chose peut se faire. Encore faut-il accepter d’être touché. »

Comment écrire un métier de présence ?
Donner à l’expérience une forme vivante, ouverte, qui en transmette le sens ? Écrire un « être là », mais avec qui ? Quels corps, quels affects, quels actes, quelles paroles ?

« Qu’est-ce que le soin en psychiatrie ? C’est d’abord ouvrir l’œil, s’ouvrir soi-même et accueillir l’autre. C’est l’accepter et s’impliquer, palper l’importance et la fragilité de la confiance que l’être, en face, a accordée. Le soin peut alors commencer et continuer… » (Devenir infirmière, Djenet Arar.)

Se placer du point de vue de ce qui advient. Raconter c’est montrer, c’est désigner, dirait François Gantheret. C’est porter le regard aux détails.

« Je suis une fringante infirmière, un stylo à la poitrine, le mollet ferme avec les kilomètres avalés durant ma formation, à courir dans les couloirs, dans les étages, sous les galeries, à monter et à descendre. Je suis donc infirmière de secteur psychiatrique, je peux et je sais soigner (un peu prétentieuse ?) : j’ai mon diplôme quand même ! Pauvre ignorante, je ne sais pas encore qu’il me manque un autre diplôme, celui qui s’inscrit dans le savoir intime, dans l’âme, dans le corps, dans la respiration, dans les yeux, dans la remise en cause, dans la connaissance… » (Humain, inventer le quotidien en psychiatrie, Chantal Coquerelle.)

Écrire l’expérience ? Porter hors de soi ce qui a été vécu, le singulier des événements et des actions, les détails qui donnent corps aux personnages – énoncer, questionner, mettre en liens.

« Histoire de mots et de maux, infirmière sans blouse, infirmière itinérante, je vais de mots en maux, je traverse les Buttes Chaumont, regarde les arbres, respire leur parfum. Je me retrouve sur le bitume, là où m’attendent d’autres maux, et mon passage par la case « nature » fait que je suis prête pour une nouvelle aventure de mots. Pourrais-je dire : de tendresse pour soulager les maux ? (…) Je suis une infirmière qui utilise les mots. Je demeure dans la tradition orale, mais j’appartiens à une tribu qui disparaît. J’aimerais qu’elle demeure : alors j’écris mes mots. » (Les mots pour soigner les maux, Monique Trost.)

Relater le déroulement des soins au quotidien, le surgissement des questions lors de la rencontre avec l’énigme de l’autre. Écrire sans faire l’économie du regard qui subjective, des façons singulières de percevoir et de comprendre.

« Si l’on peut parler de « mode relationnel », je dirais qu’à mes débuts il était défaillant, car j’étais dans une perpétuelle recherche d’informations au sujet du patient, pour remplir mon « recueil de données », comme on me l’avait appris à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers. Toute approche, toute médiation visaient un recueil de données. Aujourd’hui, j’écoute. » (De la difficulté d’entrer en relation avec un patient hospitalisé sous contrainte, Doris Irep).

Au fur et à mesure des journées d’écriture, j’ai découvert une disposition à accueillir, à écouter, à se laisser toucher par l’autre, son étrangeté, sa folie.

« J’ai voulu montrer les atmosphères qui sont le moi quotidien de mes rapports aux patients en psychiatrie, et souligner l’importance de la parole comme outil thérapeutique. (…) La parole permet d’inscrire l’autre dans un rapport ré-humanisant. Les insensés ont besoin de sens. Il faut savoir les écouter, les entendre, et, pour comprendre, il faut connaître la langue de notre interlocuteur. Très schématiquement : savoir parler le fou. C’est aussi simple et compliqué que ça. » (Polir l’expérience aux écueils du vécu, Roger-Patrice Bernard.)

J’ai rencontré des soignants animés par des convictions fortes, poussés dans l’écriture par le désir de transmettre une éthique et des valeurs qui donnent sens à leurs pratiques.

« Je me suis intéressé aux « non sortants », oubliés de l’asile, ces occupants hagards, déambulant dans les allées de l’hôpital avec leurs cabas à bout de bras remplis de toute l’histoire de la folie ordinaire. (…) Toutes ces années passées auprès de patients psychotiques, parfois très déficitaires, m’ont permis de saisir la possibilité d’une rencontre. » (Voyage en folitude, Michel Mignot.)

Je les ai invités à écrire la relation de soin et ce qu’elle engage d’eux-mêmes, de leur histoire et de la posture qui les confronte à la souffrance psychique, à l’humain, à ses extrêmes.

« C’est le jeu de la distance thérapeutique et il est important d’essayer de la maintenir en toutes circonstances. La chose n’est pas toujours aisée. Par exemple, il y a des patients auxquels on s’attache. Y a-t-il une raison ? Possible. Le plus dur est de ne pas être trop distant pour être thérapeutique. Cependant, quelle est la bonne distance ? Celle qui permet de ne pas trop s’impliquer personnellement avec le patient ou celle qui va permettre de pouvoir avancer avec lui ? » (Un autre monde, Cédric Coudreux.)

La figure fondamentale du récit est la quête. Je leur ai proposé d’écrire à partir des questions qui permettent qu’une œuvre s’élabore avec l’inattendu, l’étonnement.

« Quelque chose est en train de se passer, une ouverture pour la rencontre… Vais-je pouvoir saisir cette ouverture ? Je perçois son silence comme une attente à mon égard, comme une interrogation de mon désir : « Qu’est-ce qui t’anime, le désir de me rencontrer ou celui de me dompter ? » En cet instant, tout peut basculer. Si je trouve les mots justes, le ton juste, l’attitude juste, elle pourra accepter de venir avec moi. Si je ne les trouve pas ce sera l’escalade, le passage à l’acte, la rupture… Je n’ai que quelques fractions de secondes pour les trouver ces mots, cette attitude, ce ton justes. » (Variations autour d’une relation, Serge Klopp.)

Mêler la narration avec l’interrogation de la réalité saisie ; construire un sens depuis l’étonnement de ce que la narration porte au jour.

« Emilie tremble, les doigts jaunis, une cigarette encore. Elle m’invite, j’accepte. Un soir, deux soirs, elle m’apprivoise. Elle me couvre de paroles. C’est violent, ça me donne mal au ventre. Je n’ai plus faim. Ça parle de famille. Arrête donc ! Je suis étourdi. Elle me tend une cigarette. Je n’arrêterai pas de fumer cette année. J’essaie de ne pas dépasser quarante-cinq minutes de conversation. Je m’enliserais autrement, elle pourrait me perdre avec elle dans cette histoire. » (Les bruissements de l’intime : être « infirmier psychiatrique » la nuit, Gérald Kauffer.)

Aujourd’hui, ces récits donnent à voir un monde, des points de vue, des façons de penser – ils nous aident à les comprendre.

« Ces récits de pratiques, par la pluralité des exemples et la diversité des styles, mettent en évidence les fondements humains du travail infirmier. Ils rappellent ce que Bonnafé nommait « la poétique », laquelle fonde la particularité de la relation entre les soignants et les malades mentaux sur la capacité à capter les messages. La sensibilité, la délicatesse qui se dégagent des situations décrites rend compte de cette possibilité ingénieuse qui permet d’inventer et de donner du sens à cette relation. » (Poétique de l’expérience, Stéphane Lambert.)

Ces récits posent la question de la rencontre, au quotidien, avec la folie. Désormais devenues partageables, les expériences relatées nous ouvrent l’accès à un monde où des personnes soignantes font appel à la parole comme processus d’invention et de soin.

Écrire contre l’exclusion

En juin 1997, à Châtellerault, ils étaient onze habitants ou anciens habitants d’un quartier ghetto à m’accueillir : ils voulaient écrire un livre sur leur quartier, un quartier pas comme les autres, la cité des Renardières. 

« Je m’appelle Sylvia

    j’ai 20 ans.

L’atelier d’écriture m’a permis de découvrir l’histoire du quartier, ses histoires d’amour mais aussi la haine du quartier. J’ai toujours des rapports étranges avec ce quartier, j’ai grandi avec lui alors le raconter était une expérience inhabituelle : trouver des gens qui sont la mémoire, écrire le futur. »

« Je m’appelle Djamila

    • j’ai 31 ans et deux enfants, Noria 13 ans et Karim 9 ans. Je suis d’origine algérienne, mais je suis d’ici, des Renardières ; j’avais un an quand mon père et ma mère sont venus habiter dans le

Bâtiment 1.

Un jour, Bernard lance l’idée d’un livre. Il nous dit que ça s’est déjà fait ailleurs, dans d’autres quartiers, le livre serait un moyen pour dire qu’aux Renardières, on y vit bien. Parce que les gens de la ville, ils disent c’est un quartier mal famé.

Au début, je me dis qu’écrire, c’est pas pour moi ; je ne sais même pas écrire une phrase correcte. Et puis je me dis que ça vaut quand même le coup d’essayer, pour dire qu’ici je me sens sur ma terre.

Écrire pour moi, c’est difficile, mais j’aime le travail en groupe de tous âges ; je me souviens quand on s’écoute, et j’ose écrire. Je me souviens de l’émotion à se lire, de l’émotion d’écouter. Je me souviens du respect de l’âge et du bien être ensemble. »

C’étaient mes débuts dans le métier, une première fois de l’atelier dans un quartier dit « difficile ». Une rencontre qui a fondé mon écoute en atelier, ma posture.

« Je suis une personne toute simple, Pierre

    j’ai 33 ans. J’habite au numéro 12 avec ma mère. Je suis dans le quartier, je ne bouge pas. Je vais à Auchan, au bureau de tabac et c’est tout ; ou je reste chez moi et j’écoute de la musique. J’adore mon quartier, je l’aime comme il est, j’aime son mélange ethnique.

Avec le livre, j’ai voulu raconter ce que j’ai vécu, depuis le temps que je suis sur le quartier. J’ai pris des photos des tours pour montrer comment c’était. Pour vous dire, un article sur le quartier l’avait appelé le Bronx ! J’ai voulu qu’on redevienne un quartier comme les autres et qu’on arrête de nous montrer du doigt. »

Ils voulaient écrire pour enrayer les mécanismes de l’exclusion, cette conviction, ils m’en saisirent. Elle fut notre force, trois années durant ; eux pour s’engager dans l’aventure, moi pour les conduire – montrer le chemin, accompagner chaque fois plus loin l’élan d’écrire.

« Je m’appelle Odette

    jeudi après jeudi, nous avons appris à nous connaître, à travailler ensemble, à chercher les vrais mots pour dire les vraies choses, à apprendre comment se passe la vie d’aujourd’hui, si différente de ce que j’ai vécu aux Renardières à partir de 1950.

Quand on écrit, on revit un peu ce que l’on est entrain d’écrire. L’expérience de l’atelier nous a permis de regarder les choses en face, et les gens autrement. En fait, c’est aux Renardières que je me suis le plus battue pour vivre et faire vivre mes enfants. Ça a été sans doute une chance, même si le quartier est toujours un quartier qu’on méprise, où les gens bien ne vont guère. Mais ce quartier, je l’aime toujours !

Et pourtant, la jeune femme qui arrivait au camp des Renardières en 1950 et qui se disait
« heureusement qu’il n’y a pas les barbelés ! », celle qui pensait : « je n’y arriverais jamais, jamais, je ne pourrai pas » et bien, c’était moi ! et maintenant j’ai 80 ans ! »

L’aventure humaine et les 23 journées d’atelier on aboutit à un récit, publié chez Manuscrit.com en 2001 : Collectif des Renardières, Un quartier pas comme les autres.

formation action Châtellerault

« Moi, je m’appelle Maryvonne

    j’ai 52 ans, je suis aide soignante. Autrefois, j’ai habité aux Renardières… 55 cité des Renardières… ça a été difficile de me décider à venir à l’atelier d’écriture : je n’osais pas raconter que j’ai vécu pendant 19 ans dans les baraques : vous pensez, la cité des Renardières !

Travailler en groupe m’a été difficile. Lors des premières lectures, j’avais l’impression de me mettre à nu devant tout le monde : j’ai appris à m’exprimer en me mettant des coups de pieds au derrière ! Tant bien que mal, nous avons travaillé, fouillé dans nos mémoires pour faire revivre depuis le début ce fameux quartier…

L’atelier, c’est comme un fil qui me relie avec mon passé, une petite clé qui me permet de rentrer chez moi. Aujourd’hui, je dis bien haut et fort que j’ai vécu dans les baraques, et j’en suis fière ; et si c’était à refaire, je recommencerais ! »

Pluralité d’auteurs, pluralité d’époques ; le récit noue les fils d’une histoire collective, il donne à entendre les voix d’un chœur polyphonique.

« Je m’appelle Sandy

    j’ai 22 ans. Toute ma famille, du côté de ma mère, habite ici depuis les baraquements.

Notre groupe de l’atelier d’écriture, nous avons appris à nous comprendre et à nous respecter. Chacun racontait son époque, mais de manière différente. Le groupe est devenu la famille du jeudi, on se retrouvait autour d’une tasse de café. Ici, les histoires sont au quotidien de ce quartier pour dire : c’est cela qui fait de ce quartier une famille. »

« Je suis François

    je travaille à la MJC des Renardières.

Cette expérience d’un groupe qui raconte, ça m’a permis de comprendre l’impact de l’écriture : que le présent a sa source dans le passé, et que l’identité d’un quartier a sa source dans l’histoire. Identité : repère. On défend son quartier, on prend des risques. »

« Je m’appelle aussi Odette

    croyez-moi c’est très dur d’écrire, mais ça vaut le coup !

Il y a eu quelque passages à vides où l’on se désespérait, on était prêts à tout abandonner.
Je me souviens de la difficulté que j’avais à écrire deux ou trois mots à la suite.
Je me souviens des moments de désespoir à l’idée que jamais je ne pourrais faire un texte correct.
Je me souviens quand Claire nous demandait de lire ce que l’on avait écrit, les réticences de chacun à faire le premier pas.
Je me souviens des recherches aux archives, à Poitiers ; relire les journaux de l’époque où l’on était jeunes.
Je me souviens avoir été prête d’abandonner l’atelier car je ne voyais pas de progrès.
Mais maintenant je me sens responsable de ce que j’écris et j’en suis fière. »

Le dialogue entre passé et présent crée cette épaisseur qui permet de renouer avec ses racines et, ce faisant, de s’inscrire dans le présent.

« Je m’appelle Stéphane

    j’ai 30 ans, je suis le bout-en-train du quartier. J’habite ici depuis ma naissance. Je suis né et vécu dans les baraquements, place Cabanou.

Avant l’atelier d’écriture, j’étais timide : ça m’a permis de parler avec des gens que je ne connaissais pas, ça m’a fait du bien de parler. »

« Mon prénom est David

    j’ai l’âge que j’ai, j’ai 4 enfants, je suis un jeune papa. Je suis marié avec une demi algérienne.

Avoir des souvenirs en commun avec des personnes âgées, des souvenirs oubliés… Dans l’atelier, j’ai pris le temps d’écrire de nouveaux mots, de les assembler, d’en faire des phrases. C’est un grand moment passé ensemble, une autre vision de la lecture et de l’écriture.

Dans le livre, j’ai voulu raconter l’histoire de notre quartier, la vie qu’on a eu, les baraquements, les bâtiments en dur, la destruction des tours peut-être, la fin, quoi. »

De la diversité des expériences et points de vue s’est dessinée une communauté de valeurs, une identité du quartier.

"Un quartier pas comme les autres"