Le truc finira bien par tenir en l’air

« Vous voulez tout dire…

… mais il ne faut rien faire sortir. Les choses à dire ne surgissent pas de l’intérieur comme ça, elles sont autour et déjà dehors. Si tu es un arbre, on ne te demande pas de penser ta sève, mais à l’agitation des branches qui augmentent ta taille. Tu rayonnes ; ton image flotte dans les cerveaux de tes proches. Tu as ton caractère, tes lubies, tes odeurs, ton volume sonore ; tu es une petite machine à vapeur, ça s’agite, comme une enfant flou sur une photographie. C’est exactement ce qu’il faut savoir pour réussir immanquablement son livre. »

Olivier Cadiot, j’attendais sans doute un déclic pour l’amener dans mes ateliers, le voici : ça s’appelle Histoire de la littérature récente, Tome I, c’est chez POL.

Olivier Cadiot ? Voici un extrait d’interview dans Libération : Je fais un livre d’abord et j’écrits dedans ensuite : « Il m’est arrivé quelque chose d’étrange, un jour je me suis rendu compte que j’avais perdu mon narrateur. Le « personnage » que j’envoyais en mission depuis plusieurs livres avait disparu. Il est vrai que dans le dernier, Un mage en été, le héros se retrouve explosé dans la nature. Pour tromper l’angoisse, j’ai imaginé au début de ce livre qu’il pouvait s’adresser à moi et me régler mon compte. »

Olivier Cadiot joue / écrit. Sa fantaisie est délicieuse, joyeuse, il travaille avec des fragments d’imaginaire et de langage qui jonchent notre quotidien, les cueille, assemble, explore différents registres de langue… Un plaisir.

Ici, dans cette Histoire de la littérature récente qui n’en n’est pas une, mais plutôt un jeu autour de l’acte d’écrire : une méthode révolutionnaire pour apprendre à écrire en lisant, dit la quatrième de couverture.

« Le truc finira par tenir en l’air comme par miracle — mais ça ne se fait pas en écrivant. Mais en faisant quoi ? En accumulant calmement des erreurs et des remords. Ah on verra demain. Cette agitation, ça fabrique. Mais n’en tirez pas une conclusion générale, ah la littérature, cette négativité — c’est par l’erreur qu’on progresse, etc. Quel ennui. Non, non, on reste optimiste. »

Voilà, c’est dit, je viens avec les livres de Cadiot au prochain atelier en week-end.

On écrira, on jouera, et on verra si bien si « le truc finit par tenir en l’air » !

Cadiot

Accompagner la naissance de vos personnages

Pendant cinq jours je vous ai accompagnées et vous avez écrit — c’était l’atelier Personnages.

Où se trouve l’inspiration, entre la vie, le monde, l’imagination ? Nous avons commencé par explorer différentes sources d’écriture. Certains personnages sont venus de ces espaces entre rêves et rêverie langagière où naissent les imaginations ; d’autres ont surgi de vos expériences, de vos rencontres. Le deuxième jour, ils s’étaient invités dans vos textes, ils étaient là.

« Un jour, ils sont là. (…) Là, à la frontière entre le rêve et la veille, au seuil de la conscience. Et ils brouillent cette mince frontière, la traversent avec l’agilité d’un contrebandier. » (Sylvie Germain, Les Personnages.)

Il s’agissait de donner à ces personnages surgis dans vos textes la vie qu’ils demandaient.

Le personnage « est si passionnément désireux de passer dans la langue, d’être accueilli dans l’écriture, qu’il fait vibrer le langage en sourdine. (…) Alors le langage se met à remuer étrangement dans la pensée encore indécise de l’écrivain sollicité. Il remue, il remue, comme une eau inquiète, une lave en tourment, balbutiante. » (Sylvie Germain, Les personnages.)

Qu’est-ce qu’un personnage de fiction ? Comment le rendre vivant, le mettre en mouvement, le donner aux lecteurs au point où il restera inscrit dans les mémoires ?

Ensemble, nous avons travaillé à donner du goût, de la chair, des objets, de la présence à vos personnages.

« Que les corps se lèvent, marchent et l’espace de trois phrases, dans l’esprit des lecteurs, apparaissent, soient là et vivent. » (Pierre Michon, Le roi vient quand il veut.)

Vos personnages ont pris consistance dans les situations que vous inventiez pour répondre à mes propositions d’écriture. Ils gagnaient en présence. Leurs mondes prenaient vie.

« Je vis parmi mes semblables — les clodos, les estropiés, les charlatans, les mémères à chats (…) Gertie qui a plus de permis pour une bête histoire de feu rouge, alors elle a rempli sa voiture de terre et elle l’a transformée en pot de fleurs ; (…) Jérémie qui a parcouru deux cent mille kilomètres sur son vélo d’appartement, cent bornes par jour depuis seize ans, cinq fois le tour de la Terre sans rien voir d’autre que son papier peint, et on va fêter ça dignement, parce que ce soir on monte tous chez lui, il y aura sa copine, énorme, d’une addiction à la mayonnaise, et leur chat, debout sur une guitare, qui grattera doucement les cordes… » (Régine Detambel, Martin Le Bouillant, publie.net.)

Vous avez confronté vos personnages à des conflits selon les principes de la narration, de la dramaturgie. Texte après texte, vous avez dessiné les intrigues qu’ils vous inspiraient — vous êtes entrées dans le récit.

Nous étions, tout le long de cet atelier, en compagnie de : Virginia Wolf, Elizabeth George et ses secrets d’écrivain, Sylvie Germain, Bond, Sarraute, Maupassant, Duras, Michon, Desbordes, Bergounioux, Carver, Brautigan, Poe, del Castillo, Roth, Pierette Fleutiaux, Régine Detambel, Jeanne Benameur, Katarina Mazetti, Elise Turcotte, Christine Comencini, Lorette Nobécourt, François Bon et sa belle proposition sur Koltès, Philippe Fusaro, Proust, Camus, Sophie Calle…

Vous en avez rêvé parfois, ils vous ont saisies, vous les avez créés – Violette, Naïda, Denise, Bernard, Lucile, le commissaire D… Nous étions nombreux, les derniers jours autour de la table, avec cette connaissance de chaque personnage que permet l’écoute attentive des textes dans l’atelier – nous étions nombreux, et vivants.

naissance d'un personnage