Comment dire le métier d’accompagnante en écriture ?
Suis-je animatrice ? Passeuse d’écriture ? Jardinière ?
J’appelle votre écriture, ensemble nous la cultivons, nous en prenons soin.
Je suis à vos côté sur le chemin d’écrire : je connais les obstacles, les techniques, vous montre les passages, vous donne les outils.
Je suis votre lectrice favorable, professionnelle, avertie.
J’écoute les formes et les voix qui se cherchent dans vos textes — je dois ceci à mon amour pour la littérature.
J’écoute aussi ce qui vous pousse à écrire, que vous désirez transmettre, qui parfois ne parvient pas jusqu’au texte — et ceci je le dois à ma pratique de la psychanalyse.
J’adapte mon accompagnement à ce que j’entends de vos projets et de votre désir d’écrire, d’où vous en êtes.
J’écris, j’ai écrit, j’écrirai — c’est avec cette expérience et la nécessité qui me conduit à écrire que j’ai construit la posture qui me permet de vous accompagner, vous.
Ensemble, nous parlons d’écriture.
Votre écriture est le lieu de notre rencontre.
J’ai conduit un atelier d’écriture des pratiques avec l’équipe de travailleurs sociaux de La Parenthèse, à Clamart, en 2004. Ils désiraient écrire leur métier, ensemble nous avons cherché les mots de leur expérience.
L’histoire de ce livre se situe à la croisée entre deux chemins de création ; celui de l’écriture et celui de La Parenthèse : œuvre originale, fondée sur le pari qu’en chaque homme – le plus démuni soit-il – réside une force de désir qui peut être orientée du côté du vivant. A La Parenthèse, doute, parole et recherche fondent un positionnement éthique ; ils permettent aux acteurs de rester éveillés, attentifs à restaurer, avec les familles accueillies, les conditions de leur humanité.
Doute, parole et recherche sont aussi les compagnons de l’écrivain dans son travail de création ; ils sont également les miens, lorsque j’accompagne les personnes dans les processus d’écriture. Cette posture demande, elle aussi, de parier du côté du vivant : croire qu’en chacun sommeille une capacité à créer qui cherche à produire ses propres objets et s’engager, avec le groupe des écrivants, hors des discours attendus à la recherche de l’inconnu que révèle le travail d’écrire.
« La littérature est assaut contre la frontière » écrit Kafka.
Se laisser saisir d’abord, puis traverser par l’œuvre qui nous met au travail, corps et âme. Dans créer il y a risquer sa peau, son équilibre, ses repères. Pour lutter contre la disparition, mêler sa voix à celles du monde, transmettre ?
« Ce qui compte, écrit Charles Juliet, c’est qu’un livre dise le vrai, qu’il nous fasse découvrir un inconnu, émette des vibrations qui émeuvent nos profondeurs. »
Aujourd’hui, de l’histoire d’existences malmenées à l’extrême, du travail mené par les acteurs de La Parenthèse pour faire reculer l’exclusion, ce livre fait œuvre. Je souhaite qu’il ouvre ses lecteurs à l’engagement vivant d’hommes et de femmes qui travaillent à repousser les frontières.
Jacques Ladsous avait accueilli l’ouvrage dans la revue Cairn info
« Et tout à coup surgissent sous leurs plumes leur silhouette, et celles de ceux qu’ils accueillent, qu’ils reçoivent, qu’ils accompagnent, avec leurs hauts et leurs bas, leurs colères et leurs joies, leurs réticences et leurs espoirs. Cela se dévoile comme un film, cela se lit comme un roman. »
Fenêtre sur… La Parenthèse, Écriture collective des pratiques, Hôtel social La Parenthèse (Éd. La Parenthèse, Clamart, 2004)
Y-a-t-il une éthique de l’atelier d’écriture ? Des règles ? Un cadre ?
Penser le cadre avec JB Pontalis.
« Le cadre, en psychanalyse, écrit Pontalis dans Fenêtres :
est la condition nécessaire pour que la réalité psychique prenne toute la place, pour que l’analyse puisse imprimer du mouvement à la pensée, à la mémoire, à la parole. Il faut au peintre les limites d’une toile pour que l’illimité d’un paysage apparaisse, pour qu’une lampe ne soit pas seulement un objet, mais source infinie de lumière ; il faut un plateau de théâtre pour qu’une scène soit aussi une autre scène ; l’art de la photographie repose pour une bonne part sur la qualité du cadrage. Seul l’enclos du sommeil, où les amarres sont rompues avec le monde extérieur, autorise le rêve à s’éveiller et à se déployer en tout sens. »
De même, le cadre de l’atelier permet-il aux écritures de se déployer si chacun, se sentant en sécurité, peut se risquer à écrire. Ecoute littéraire favorable, respect des singularités et des personnes, critiques interdites sur les textes de premier jet… l’animateur veille au cadre ; il s’en porte garant.