Travail accompli

En huit étapes

Quelle aventure étonnante, accompagner l’écriture de quelqu’un qu’on ne rencontrera pas, qu’on ne connaîtra que par son écriture et les textes qu’il vous envoie !

Il s’agissait de l’atelier Écrire une histoire de vie par e-mail, sur huit séances. Un jour en novembre, je reçois la demande de JM, qui habite en Normandie et veut écrire son enfance et son adolescence “à seules fins, d’une part de poser certaines choses et d’autre part de donner à mes filles un éclairage sur mes origines et en conséquence sur leurs origines. […] Ce désir d’écrire est chez moi à la fois neuf et très ancien. Le projet de raconter ma jeunesse est un outil pour grandir.” Ainsi son désir d’écrire est ce que JM me confie en s’inscrivant à l’atelier.

Je connais bien cet atelier pour l’avoir conçu il y a une quinzaine d’années et maintes fois proposé depuis, tant dans les groupes qu’en individuel, par e-mail (j’en avais parlé ici). La progression est bonne. Les premières propositions sont assez déroutantes pour certains, car je ne propose pas d’entrer directement dans le vif du sujet (l’histoire de vie), j’invite d’abord à prendre le temps de l’écriture — jouer avec les formes, instituer la dimension littéraire, caractériser la personne qui deviendra le personnage principal de l’histoire, poser les premiers repères… Ensuite, on y va et ça avance : l’histoire avance, le personnage prend vie, on dégage un thème, un enjeu, on écrit des scènes, on structure, on construit, on aboutit.

Trois semaines pour écrire, une semaine pour lire et faire des retours, ainsi avance l’atelier. Rien que ses mots et les miens, tissés dans l’échange autour de la progression de son écriture. Les paris que je fais — souligner ceci, ne pas dire cela, inviter à se demander si… L’intuition de la personne, de sa relation avec l’écriture, de ce qu’elle cherche à dire, naît de la lecture de ses textes. Si la présence n’est pas physique — je ne vois pas celui qui m’écrit, je ne connais ni sa voix, ni la qualité de ses silences –, la présence est… textuelle. Je découvre la forme spécifique de son intelligence, son sens de l’humour, son ton, sa façon de doser la distance, celle de s’approprier mes observations et propositions — leurs effets sur le texte suivant.

Et l’écriture opère. “Chemin faisant toutes sortes de détails, d’épisodes que j’avais enfouis, me sont revenus en mémoire.” Cela, je ne le sais pas pendant l’atelier car les souvenirs ne me parviennent qu’une fois écrits. Mais oui, l’écriture opère ; elle porte à la page ce qu’on ne savait pas savoir, donne forme à ce qui a été vécu, révèle un point de vue, construit une intelligibilité de l’expérience en la transformant en récit.

Témoignage

“J’ai longtemps dansé d’un pied sur l’autre avant de m’autoriser à écrire, et plus encore à écrire mon autobiographie. Bien sûr, je prenais des notes de temps en temps pour me préparer ou soit-disant m’encourager. Mais le tout restait informe. Aujourd’hui je suis content du travail accompli lors de cet atelier.

Quand je me suis décidé, j’étais à la fois enthousiaste et fébrile. Je fus surpris par les premières propositions, plus par les formes demandées que par les thèmes. Néanmoins je mettais beaucoup d’ardeur à les traiter. Je me dépêchais comme un cheval qui sent déjà l’écurie (si vous me permettez la comparaison !). À la pure ardeur du début a bientôt succédé la simple conviction de travailler dans la bonne direction. L’accompagnement personnalisé y est pour beaucoup. Ce fut un précieux soutien. Tant par l’attention portée aux détails (français littéraire, usages, maladresses, etc…) que par les encouragements, que je percevais respectueux et sincères.

C’est à mi-parcours que j’ai réalisé que mon texte prenait forme, que je m’approchais de mon objectif. Sur le papier et dans la tête. Dans cet ordre. C’est la progression pédagogique autant que mon travail qui permettaient cette avancée. En m’investissant dans ce travail de longue haleine, j’ai pris conscience de la dynamique de construction d’un texte et des nécessités d’organisation. Pas à pas, une méthode vous est proposée pour trouver les mots, pour structurer le texte, pour composer votre récit. Écrire, laisser reposer, y revenir, en s’inspirant d’une part de textes exemplaires d’écrivains reconnus qui vous sont soumis, et d’autre part, des annotations faites par l’animatrice sur vos propositions précédentes.

Ce projet m’a apporté beaucoup plus que ce que j’en attendais. Chemin faisant toutes sortes de détails, d’épisodes que j’avais enfouis, me sont revenus en mémoire. Par ailleurs, le seul fait de relater par écrit ces épisodes de ma vie et d’en soumettre la lecture à une professionnelle bienveillante, m’a permis de trouver la bonne distance par rapport à ces événements.

Évidemment, il y a des choses que l’on n’apprend pas. Mais écrire, vous met au défi de l’honnêteté et de l’humilité.

En huit étapes, j’ai pu mettre de l’ordre dans mes idées, j’ai su adopter une méthode, trouver un rythme de travail, et affirmer un ton qui est le mien. Maintenant, j’ai un texte structuré qui a du sens. Il peut être amendé, certes. Mais j’ai fait là un énorme bond, grâce à l’accompagnement de Claire Lecœur.”
J.M.B.L

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Les assemblées qu’on abrite

La voix de Pierre Bergounioux nous accompagne en ce deuxième jour de l’atelier Histoires de vies.

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Bergounioux, sa voix structurée, complexe.

« La littérature s’offre comme une voie d’approche vers cette part de notre histoire à laquelle s’appliquent mal les explications qui sont livrées avec. (…) Il se passe quelque chose, on ne sait quoi, dont la mention ne figure nulle part. On peut laisser les choses suivre leur cours aveugle, n’y songer point puisqu’elles sont les choses et se moquent de ce que nous sommes ou pensons. On peut aussi tâcher à deviner, à dessiner d’une main malhabile, sacrilège, le chiffre de notre destinée. L’affaire dépasse notre stature chétive. Quelqu’un d’inique, d’irréductible, sans doute, tient le passage. Les mots que nous hasardons, les pauvres récits qu’on échafaude suscitent un grand rire méprisant, silencieux, dans le noir. Mais rien, hormis cela, n’interdit de tenter l’aventure. » (La puissance du souvenir dans l’écriture)

Tenter l’aventure ? Bergounioux nous ouvre la voie.

« Du côté paternel, on était ivre de bile noire, amer et maigrelet, opiniâtre, sédentaire, continuellement désespéré. De l’autre, les songes l’emportaient. Ça donnait des figures amincies, mobiles, lancées haut dans les airs, imaginatives et ensoleillées. Bref, les êtres les plus contraires, les moins conciliables qu’on puisse imaginer. Bien sûr, c’est après qu’on s’en rend compte, quand ils ont quitté l’espace du dehors et qu’on s’avise qu’ils sont en nous, qu’on est eux, maintenant. On se découvre porteur à parts égales des attributs antagonistes dont ils étaient respectivement chargés, avec l’obligation de mettre un semblant d’ordre et d’unité dans l’orageuse assemblée qu’on abrite. » (Le grand Sylvain)

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Après celle de Bergounioux, je vous donne la voix d’Annie Ernaux. Deux univers se rencontrent le temps de cette proposition, partageant une même puissance d’évocation.

« Ils habitaient une maison basse, au toit de chaume, au sol en terre battue. Il suffit d’arroser avant de balayer. Ils vivaient des produits du jardin et du poulailler, du beurre et de la crème que le fermier cédait à mon grand-père. Des mois à l’avance ils pensaient aux noces et aux communions, ils y arrivaient le ventre creux de trois jours pour mieux profiter.
Le signe de croix sur le pain, la messe, les pâques. Comme la propreté, la religion leur donnait la dignité. Ils s’habillaient en dimanche, chantaient le Credo en même temps que les gros fermiers, mettaient des sous dans le plat. Mon père était enfant de chœur, il aimait accompagner le curé porter le viatique. Tous les hommes se découvraient sur leur passage.
Pour manger, il ne se servait que de son Opinel. Il coupait le pain en petits cubes, déposés auprès de son assiette pour y piquer des bouts de fromage, de charcuterie, et saucer. Me voir laisser de la nourriture dans l’assiette lui faisait deuil. On aurait pu ranger la sienne sans la laver. Le repas fini, il essuyait son couteau contre son bleu. S’il avait mangé du hareng, il l’enfouissait dans la terre pour lui enlever l’odeur. » (La Place)

C’est le deuxième jour de l’atelier. Nous nous connaissons peu, encore, mais vous avez entendu le cadre solide, fiable – vous y allez, vous mettez vos pas dans ceux des écrivains.
Alors des femmes, des hommes, des paysages humains se lèvent dans vos textes.

Écrire des histoires de vie

Vous désirez écrire une vie ?

… la vôtre ou celle d’un autre, ou encore la vie d’un personnage né de votre imagination ?

L’expérience humaine peut s’écrire de mille manières et le plaisir de cet atelier est là : chercher, explorer, découvrir, rendre vivant.

Commençons par caractériser votre personnage, l’incarner en le faisant vivre dans des scènes. Cherchons qui va raconter l’histoire et quelle sera la voix de la narration. Collectons les éléments d’une trajectoire…

Des vies, « telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu’une passion les anime.” (J.B. Pontalis pour la collection L’un et l’autre chez Gallimard)

Nous parvenons au constat que, pour écrire une histoire, il faut un angle, ou une quête. Le personnage manque de… réalisations, amour, reconnaissance, paix avec soi-même, réussite professionnelle… quoi d’autre encore ? Donc il se met en marche, rencontre des obstacles, les dépasse, etc.

Étape après étape, l’atelier vous accompagne sur les chemins de l’écriture d’une histoire de vie. Vous donnez du goût, de la chair, de la présence à votre personnage et à vos scènes. Vous mettez l’histoire en musique, cherchez son rythme, ébauchez la structure de votre récit.

Ainsi, peu à peu se précisent les enjeux de l’histoire. Ainsi vous approchez-vous du mystère de celui, celle, à qui vous donnez vie en l’écrivant.

    « Une vie : études, maladies, nominations. Et le reste ? Les rencontres, les amitiés, les amours, les voyages, les lectures, les plaisirs, les peurs, les croyances, les jouissances, les bonheurs, les indignations, les détresses. » Roland Barthes



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