Écrire… pendant un an nous avons écrit ensemble, avec les professionnels du Service d’Accompagnement à le Vie Sociale d’Etrepigny.
Ils sont maintenant les auteurs de Le temps qu’il faut, aujourd’hui publié chez L’Harmattan.
Le dernier jour de notre atelier, j’ai proposé que l’écriture se saisisse du chemin que nous avions parcouru ensemble, depuis le projet du livre jusqu’à son aboutissement. Il s’agirait de l’écriture et de ce qu’elle représente pour soi, de l’expérience de l’avoir partagée dans l’atelier, de son évolution — les textes seraient publiés ici, pour les lecteurs intéressés par l’écriture et son évolution dans les ateliers.
Je ponctue ces textes d’images glanées, le lendemain, au musée et dans la maison de Rimbaud, à Charleville Mézières.
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« Écrire pour se trouver, pour se retrouver, pour se lâcher. L’écriture dompte plus facilement les mots que ma voix, je contrôle moins le stylo que ma parole. Comme si la spontanéité devait passer par l’outil scripteur. Paradoxe, l’écrit filtre l’émotion, permet l’expression vraie. Mais la relecture corrige et corrige, encore parfois rétablit la censure innée.
Pour l’ouvrage que nous avons écrit ensemble, je n’ai jamais douté. J’ai confiance en nous et la confiance en Claire a été évidente dès la première rencontre. Travailler dans le respect et la bienveillance, savoir faire émerger la capacité de chacun à écrire, cela a fonctionné. L’écrit nous a réunis dans un partage d’émotions, de rires et de larmes, de beaux textes.
Pour moi cela a été du plaisir. Voir se composer au fil des rencontres ce livre qui nous rassemble et nous ressemble et qui donne à voir le travail invisible avec des personnes handicapées. Un ouvrage fondateur.
Écrire pour dire, écrire pour se dire. J’écris donc je suis. »
Sylvie Blanchemanche
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« Je me souviens très bien des premiers temps d’écriture. Pas que je n’écrive jamais, au contraire. C’est une façon bien à moi de mettre en mots ce qui reste coincé, là, quelque part, au fond du gosier ! L’écriture allège, adoucit, elle peut être brute aussi mais elle est avant tout personnelle ou dédiée à un proche. Ici, j’ai très vite ressenti chez Claire l’envie de nous faire « lâcher prise ». Nous allions devoir nous dévoiler un peu. A cet instant l’écrit, que j’utilise pour tout, ou rien, avec réflexion, ou sans, d’un coup m’a fait peur. Il allait falloir s’exprimer autrement.
J’ai touché du bout des doigts la peur d’une page blanche. Ce moment où nous avons tant de choses à dire mais où rien ne vient. La crainte d’être à coté, de ne pas trouver les bons mots, de ne pas avoir l’inspiration suffisante mais aussi celle de trop en dire et de se mettre, sans le décider vraiment, à nu. Puis, au fil des séances l’écriture est apparue moins grave. La bienveillance de chacun permettait un certain soulagement, un certain apaisement, je voyais la possibilité d’une ouverture vers l’autre.
Nous avons tous joué le jeu, plus ou moins facilement, mais qu’il était agréable d’écrire, d’entendre notre quotidien avec toute l’élégance et la poésie que l’on met dans l’écriture. Aujourd’hui, cet atelier, je le vois comme une opportunité qui m’a été donnée d’exprimer les émotions traversant notre quotidien professionnel ; d’avoir cette chance que l’écrit nous offre d’être sans doute plus vrais, plus sensible et plus juste ; d’être au plus près des personnes que nous accompagnons en allant chercher au plus profond de notre esprit, le détail, le bon mot, celui qui fait la différence. L’écriture du cœur, puisque c’est, me semble-t-il de celle-ci dont il a été question pour donner naissance à notre livre me parait plus accessible, moins fermée aux autres, désacralisée. Il en ressort même un certain plaisir. La satisfaction du travail accompli.
Je m’autorise à être fière par ce que je n’imaginais pas pouvoir faire. Je prends conscience que l’écriture est un indispensable compagnon de route si l’on prend le temps de l’apprivoiser. Un entre deux libératoire qui ouvre au monde, aux autres. Telle la lecture, mais ça, je le savais déjà. »
Françoise Pougeas
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« Quand on a abordé cette formation aux écrits professionnels, j’étais très réticente, je ne voulais pas la faire. Déjà ces mots ne me plaisent pas. Écrire : je ne sais pas ! Écrits professionnels : ça me gave ! Pour moi, c’était mettre des mots stéréotypés pour caser des gens dans des grilles et avoir un semblant de style pour des lecteurs qui ne lisent pas, mais qui calculent.
Puis j’ai découvert des écritures qui m’ont parlé, émue, emmenée. Je me suis aperçue que tous, nous étions capables de faire transpirer les mots dans les textes. Ils nous apportaient le plaisir d’écouter, de voyager chez les uns, chez les autres, pour mieux comprendre les situations, et notre vécu aussi. Nous mettions du nous avant de mettre du eux.
Pour les autres auteurs du groupe, très sincèrement, leurs récits m’ont permis de penser qu’on pouvait travailler ensemble, car ces mots employés, si différents les uns des autres, sonnent tous une même musique – la sincérité, la difficulté, le respect.
Alors, même si je n’ai toujours pas les compétences requises pour devenir écrivain, j’ai su tenir un stylo, c’est déjà bien ! »
Marie-Noëlle Lamotte.
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« Je suis issue d’un milieu modeste, ma famille paternelle est nordiste et nous avons tous entretenu cet accent qui à l’oreille n’est pas aussi joli qu’un accent du soleil, mais il fait partie de nos racines, c’est notre patrimoine. Ma grand-mère maternelle a plusieurs accents qui ne se distinguent pas vraiment. Elle a vécu dans différentes régions et sa façon d’écorcher les mots nous fait grincer les dents, à ma mère et à moi, nous la reprenons souvent – la conjugaison notamment. Mon frère, lui, est un génie ; au lycée il corrigeait même ses propres professeurs de français. J’ai souvent été complexée, par le passé, de l’aisance de mon frère et de ma mère à parler, à écrire. J’aime écrire mais malheureusement j’écris comme je parle, sans poésie, au contraire ! Je n’ai absolument pas confiance en moi quand j’écris, je me dévalorise dès les premières lignes, j’ai pas le niveau qu’il faut, j’aimerais être plus cultivée.
Cependant, mes écrits me ressemblent, ils sont simples, accessibles. C’est assez paradoxal, mais j’aime les mots. Je les trouve beaux, leur sonorité est presque mélodieuse. Lorsque j’écris dans ma vie personnelle, c’est parce que le langage oral ne me permet pas d’exprimer tout ce que je veux. De nature émotive, l’écrit me permet la mise à distance et de ne pas affronter directement le regard et l’expression de l’autre. J’ai beaucoup de pudeur à exprimer ce que je ressens à l’oral. Les écrits restent, peuvent être lu et relus… contrairement à la parole, qui s’envole. »
Audrey
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« Écrire pour moi, est, comme pour beaucoup d’autres choses, aussi attirant qu’effrayant, aussi motivant que figeant… Les premiers moments de cet atelier ont été un bras de fer avec moi-même : oser montrer, me dévoiler devant ces Autres, mes collègues, que je n’avais pas encore apprivoisés.
Mes écrits professionnels, en tant que psychologue, font appel à un vocabulaire technique, distancié, où il n’y a pas vraiment besoin de se mouiller. En revanche, pour cet atelier, j’ai dû y mettre du mien, mais aussi de moi…
Quoiqu’il en soit, dans toutes formes d’écrits, mes forces d’empêchement sont là : trouver le mot le plus juste, faire des phrases les plus parfaites possibles… Bref, l’idéal de perfection au détriment de bien d’autres choses.
Pourtant, lorsque je relis mes écrits, parfois anciens, j’éprouve souvent de la satisfaction, étonnée d’en être à l’origine.
Il m’arrive souvent de relire les textes que j’ai écrits pendant l’atelier d’écriture, dans des moments de doutes ou de houle. Je les fais également lire, de plus en plus, à mon entourage car je me sens fière de moi et convaincue que le vieux diesel que je suis peut, à son rythme, et en déposant les armes, écrire, tout simplement. »
Sarah
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« Quand nous avons commencé à parler d’un ouvrage sur notre travail, qui plus est rédigé par l’équipe, je ne parvenais pas à me projeter. À chaque séance, je me disais : « Est-ce que je vais être capable de transmettre quelque chose ? »
Au fil du temps et des mots, j’ai apprécié écrire. En fin de compte, je me rends compte que ça n’est pas si difficile (même si quelques barrières persistent encore), et ça fait du bien ! Chaque lecture de texte a permis de partager entre nous, d’amener une approche et une réflexion différentes sur le travail effectué avec les personnes que nous accompagnons. Nous avons laissé libre cours à nos émotions. Maintenant, je me surprends parfois à me sentir fière de mes écrits et cela relève du miracle.
C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai eu des difficultés à supporter les propositions de retouches sur mes textes, alors que ce n’est pas le cas d’habitude. Même si je comprends la nécessité de ces corrections, des sentiments contradictoires font alors surface. Je suis déçue car j’ai la sensation de perdre une partie de mon texte, de ne plus en être tout à fait l’auteure et de ne plus partager totalement mon ressenti. Mais je reconnais que le changement améliore la compréhension de mon écrit et facilite sa lecture. »
Brigitte
Les formations pour écrire un ouvrage sur les pratiques se trouvent ici
Un beau voyage intérieur.
Oui, merci Didier ; un voyage intérieur et partagé.
“Ici, j’ai très vite ressenti chez Claire l’envie de nous faire « lâcher prise ». Nous allions devoir nous dévoiler un peu. A cet instant l’écrit, que j’utilise pour tout, ou rien, avec réflexion, ou sans, d’un coup m’a fait peur. Il allait falloir s’exprimer autrement.” dit Françoise Pougeas.
Justement, c’est cela qu’on va venir chercher dans ce livre qui, dès l’intro, est déjà passionnant. Bravo !
Tiens, une autre atelière vient saluer le travail, d’atelier à atelier, merci Florence !