Atelier d’écriture à Sète – 2

Les Voix vives se sont tues pour un an, à Sète.

Mais le souvenir de la rencontre avec Denis Montebello, proposée un matin par l’atelier « kitchen litho » de Juliette Mezenc, ne s’est pas éteint.

Juliette et Denis nous parlent de l’attention qu’il portent aux noms, dans leur travail d’écrivains. Noms de lieux, nom que l’on porte. Denis raconte qu’il repère deux familles d’écrivains ; ceux qui écrivent contre leur nom, tel Michaux qui veut se défaire des appartenances, et les autres, qui portent le leur avec fierté. De son propre nom, Denis Montebello dit qu’il n’aura pas assez de toute sa vie pour le mériter. (Et je sais ce que cela signifie, une vie pour mériter le nom qu’on porte !)

écrire sans fin

Denis nous parle des mots, de cet exil de l’enfant qui doit quitter le monde sensuel pour acquérir l’usage des mots ; « parce que les mots ne ressemblent pas aux choses ». Il nous raconte son travail d’écrivain « saisissant une archéologie du présent (…) par une dénudation du réel dans les mots ordinaires qui le nomment ».

Denis Montebello lit quelques passages des chroniques gourmandes publiées dans Fouaces et autres viandes célestes. Un recueil de saveurs qui nous fait voyager dans les mots.

« La jonchée – le mot parle d’abondance, de fleurs répandues ça et là en quantité, pour célébrer Dieu, Marie ou pour fêter la mariée.

La chose ne ressemble pas au mot. C’est un mets rare – de plus en plus –, un entremets qui soutient, à sa façon rustique, bucolique, la comparaison avec le blanc-manger de l’ancienne cuisine française.

Au vrai, la chose ne ressemble à rien. Sa forme hésite entre le chaos du lait et le monde du fromage, et nous pouvons avec elle observer la transmutation du liquide en solide, méditer, à l’instar de Paracelse, sur ce prodige. »

Puis Juliette nous parle de frontières, des frontières dans le temps, des traces du passé qu’on cueille dans le présent. Puis elle lit des extraits de Catalayud.

« Vous vous revoyez à Toro. Poursuivi par des milliers de cigognes. Attendu à chaque tournant. Vous vous revoyez courant. Fauché par d’immondes craquètements. Forcé de vous arrêter. Et non plus seulement à Calatayud, à cette demande qui ne vient pas, à ces mots qui ne sortent pas, mais à une image. Sortie de quel film. À ce cimetière qui semble flotter dans le brouillard, à cette tombe. Où vous voyez ce nom écrit, CALATAYUD. Gravé dans la pierre. Ce nom que vous revoyez tandis que l’assistante vous crie à l’aide. Qui ne sait quoi demander. Et que vous tentez de lui porter secours en lui racontant ce film. En cherchant à votre tour à en démêler, à en retrouver le fil. Ou au moins le titre. Dans quel film ce cimetière vous est apparu. Dans quelle vie. Sous quelle lune. »

exiguïté de la justesse

Saviez-vous que lire et cueillir ont une même étymologie ?

Avec Dominique Dussidour

Il existe un écart entre ma pensée quand je la pense et ma pensée quand je l’écris.

« Assise sur les marches d’une cuisine à regarder un jardin, quelques minutes, le temps de se lever, prendre le carnet noir et le stylo jamais loin, se rasseoir et écrire. Je regardais, j’ai pensé et je m’apprête à écrire : « Le ciel est bleu », or j’écris : « Le ciel est patient », et je sais d’emblée que le ciel est véritablement patient plutôt que bleu. »

« Cet écart a toujours existé. Écrire en sait davantage que moi, qui n’ai jamais rien pu savoir ni apprendre ni comprendre. »

Voir ici la suite de ce bel article parmi les Petits récits d’écrire et de penser de Dominique Dussidour sur remue.net.

Avec François Gantheret

Écrire, chercher ses mots dans l’extrême diversité du langage… se laisser trouver par les mots.

« Que cherche celui qui écrit ? Dans son mouvement premier, le mot juste, celui qui dirait très exactement, sans zone d’ombre, sans flou et sans reste… qui dirait quoi ? Pour peu qu’il soit écrivain celui-là reste la plume en l’air, au-dessus de la feuille, car ce qu’il a à dire, il ne le connaît pas vraiment ; et même pas du tout. Il tente de donner une forme à une nécessité interne de formuler, de figurer, et tout ce qui lui vient sous la plume n’est jamais, vraiment, “ ça ”. Et le rapport à la parole semble s’inverser. Il ne s’agit bien vite plus de maîtriser les mots, ce sont eux qui s’imposent. Tout écrivain en a, d’une façon ou d’une autre, témoigné : il ne saurait mettre les mots à son service, il est au service des mots. Celui qui vient semble juste, et même le plus exact, et cependant il hésite, et il en trouve un autre et il hésite encore, et c’est un autre qui s’impose, qu’il ne trouve pas mais qui le trouve. »

François Gantheret, Moi, Monde, Mots (Gallimard, Connaissance de l’inconscient, 1996)

Mais que serait le sourire de la Joconde sans les mirabelles du fond de ton jardin ?

Mais que serait le sourire de la Joconde sans les mirabelles au fond de ton jardin ?