Soif de mots

Vous me dites souvent, en fin d’atelier, combien l’aventure d’écrire a compté pour vous. De plus en plus je vous entends me dire aussi l’ouverture essentielle qu’a été pour vous la lecture, dans l’atelier.

Lecture…

    des textes de chacun lorsque nous en parlons après le temps d’écriture — avec ce soin très particulier de l’écoute littéraire et du respect énoncés comme règle dès le premiers instants de l’atelier.

Lecture…

    des textes littéraires donnés à voix haute pour vous inviter à vous avancer sur les chemins de votre écriture — œuvres choisies pour leur force, leur recherche, ou pour les voix vives qu’elles font parvenir jusqu’à nous à travers un livre.

Lecture…

    enfin des textes que je vous donne en vous racontant ce que leur rencontre a insufflé de souffle, de désir et de sens en la lectrice et l’accompagnatrice que je suis.

Écrire et lire dans l’atelier, ensemble. Voyager dans les mots en dialogue avec ceux que nous trouvons dans les livres. J’ai souvent raconté la place de mes compagnons auteurs lorsque je fais écrire (ces derniers temps avec Tumulte dans l’atelier, et aussi là, dans Traversée).

Aujourd’hui c’est avec Les livres prennent soin de nous que j’aimerais penser la place de la lecture dans mes ateliers. Dans cet essai, Régine Detambel raconte comment les livres nous permettent de vivre et de nous construire, de traverser les épreuves et de nous réinventer.

    « Nous ne nous comprenons que par le grand détour des signes de l’humanité déposés dans les œuvres de culture », écrit Ricoeur. « Que saurions-nous de l’amour et de la haine, des sentiments éthiques et, en général, de ce que nous appelons le Soi, si cela n’avait été porté au langage par la littérature. »

Oui. La vie, le monde, les autres et nos affects enfouis, oubliés, peuvent nous être rapportés par un livre : il s’agit bien d’ouverture, de gain de sens, de regain de curiosité pour les histoires qui nous font signe — nous nourrissent, nous élargissent, nous transforment.

« Nous souffrons du peu d’imagination des fictions ordinaires qui nous cernent et nous tendent un miroir étriqué », écrit Detambel. Ainsi le pensez-vous sans doute aussi, vous qui parlez de la place de l’atelier dans votre vie comme d’une bouffée d’oxygène. Oxygène d’histoires et de langues qui renouvellent nos points de vue, recomposent nos expériences, enrichissent nos intuitions, nous redonnent goût à vivre en nous sortant du chaos — tant intérieur qu’extérieur.

    « Nous sommes toujours en quête d’échos de ce que nous avons vécu de façon obscure et qui parfois se révèle et se transforme grâce à une histoire, un fragment, une simple phrase. »

Dans l’atelier, la lecture d’une simple phrase fait tout à coup rencontre. Les mots d’un autre ont éclairé une vérité intérieure et ça fait ouverture, ça pousse à écrire dans le désir d’à son tour faire œuvre de mots. Alors quelque chose s’accélère, intérieurement ; quelque chose fait densification, mise en mouvement, bouillonnement… une dynamisation du langage.

Ainsi se découvrent et se fortifient de nouvelles perceptions, de nouveaux entendements. « La littérature est ce qui fermente », écrit Detambel. Le processus s’accélère bel et bien lorsque vous écoutez les textes que je vous lis avant de vous proposer d’écrire, quand la littérature nourrit et ébranle vos subjectivités qui veulent s’énoncer à leur tour en frayant leur chemin dans la langue.

    « À tout âge, la vie humaine est autocréation. Un être ne peut se comprendre, se libérer, répondre de soi que dans la mesure où il a conscience de se produire soi-même, où il se vit comme sujet de son existence.
    À tout âge, créer c’est libérer les possibilités de vie susceptibles d’accroître à la fois la puissance de la sensibilité et la jouissance du fait de vivre. »

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