L’éclosion des écritures

L’atelier, un endroit libre, ouvert

— J’ai compris ce que j’ai envie de faire avec l’écriture pendant l’atelier, maintenant je sais que c’est possible, je vois un chemin.

— Pour moi il s’agissait d’un rêve, je suis venue réaliser mon rêve avec l’écriture, elle est devenue accessible…

— Lire tout le temps ce qu’on est entrain d’écrire c’est incroyable la liberté que ça donne ! On s’expose avec ses brouillons et les avis des autres nous aident… J’ai le sentiment d’avoir gagné un temps fou, j’accepte de me tromper, je recommence, j’apprends en avançant…

— … je veux dire… écrire est un outil formidable pour comprendre le monde et ici on peut exprimer ce qu’on comprend !

— Oui, et on découvre différentes manières de faire la littérature contemporaine en se situant dans le paysage littéraire grâce à tous ces textes que tu nous lis.

— Le secret c’est cette contrainte qui fait produire ! et le groupe qui permet d’évoluer ! on est confronté aux regards des autres, d’abord on a peur, heureusement que le cadre permet de supporter ces regards parce qu’ils ne sont pas critiques —

— Parce que ça prend les tripes et le cerveau d’écrire, j’ai ramé, galéré, mais l’écriture devient un jeu d’enfant dans l’atelier !

— Moi j’ai appris à simplifier, à sortir de mes grandes idées sur l’écriture pour entrer dans le concret de l’aventure.

— Tout est fait pour qu’on devienne capables…

— Ce qui est si beau c’est d’entrer dans les univers des uns et des autres en écoutant les textes, elle est rare, cette qualité d’échange dans un groupe…

— J’ai trouvé la bienveillance dès le premier partage de textes, j’ai su que je ne serais pas mise en danger… On comprend que chaque texte compte sur le chemin de ce qu’on aimerait écrire. Ensuite, à un moment, quelque chose s’impose sans qu’on sache comment.

— …

— Oui, Véronique ?

— Oui, je voudrais dire que j’ai été très touchée, sidérée même par l’éclosion des écritures ; ça a grandi, mûri, c’est un tel changement après 4, 5 petits exercices de rien !

— Moi je dirais que c’est un lieu magique ! On nous donne une panoplie d’outils, on apprend à contracter ou dilater l’écriture, on se penche sur les détails… Et puis il y a cette très grande écoute, toute en profondeur, alors on découvre qu’il reste beaucoup de travail pour se trouver, pour trouver son style… comment dire… on prend le temps des étapes sans chercher à atteindre l’absolu, la perfection… quel soulagement.

— C’est génial dans notre monde ce lieu où il n’y a pas de compétition entre les personnes !

— Tu nous invites à ne pas écouter nos résistances, tu pousses à y aller. Il y a cette élaboration collective… on assiste à la naissance des écritures…

— Oui, c’est grâce à cette approche très progressive, ça fait comme un effet entonnoir – l’atelier me conforte dans l’idée qu’il réside dans l’écriture quelque chose d’essentiel pour ma vie.

— Comment disais-tu hier ? On écrit pour savoir ce qu’on ne savait pas savoir ?

— Et vraiment, l’alchimie qui a fonctionné dans le groupe, on a fait de véritables rencontres grâce à l’écriture…

— Oui, la joie et la bienveillance…

— la joie du faire,

— l’espace de liberté donné par la proposition,

— la conquête de mon propre regard…

— Moi je dirais que l’atelier fait sauter les verrous de l’écriture !

— Ça ouvre des tas de portes !

— Je suis très émue par cette expérience de partage, on s’est enrichis mutuellement.

Aller à la page des ateliers

Passeurs

Il est un fait que j’observe depuis longtemps : écrire peut restaurer le désir de lire.

J’ai souvent entendu dire, par les personnes venues écrire en atelier, qu’elles avaient perdu contact avec les livres. Elles faisaient le plus souvent remonter ce fait au début de leur vie professionnelle ; parfois la lecture les avait quittées sitôt sorties de l’institution scolaire.

Or, après quelques temps en atelier, après que leur propre écriture soit devenue plus investie, ces personnes s’animaient en parlant des auteurs qu’elles découvraient.

En atelier je lis, pour inviter dans l’écriture, des textes d’auteurs. Ces lectures sont soutenues par le désir de faire passer ma conviction que les livres nous aident à vivre. Je ne demande pas de compte-rendu de lecture, pas d’analyse savante des textes. J’invite à retrouver goût pour les textes qui nous parlent, nous touchent, à puiser le désir d’écrire dans ces textes.

On écrit en souvenir de, ou en dialogue avec les auteurs qui ont compté pour soi. Dans les ateliers — lieux ou chaque écrivant rencontre des lecteurs — la pratique de l’écriture éveille la curiosité pour les livres. Il faudrait donc commencer par restaurer un rapport personnel, vivant avec écrire, retrouver sens à ce faire, avant de se tourner vers les livres ?

Sur le site du passionné pédagogue Philippe Meirieu, j’ai découvert le texte d’une autre grande et passionnée pédagogue, Maria Montessori. La lecture et l’écriture raconte comment le chemin vers la lecture n’est frayé qu’après l’appropriation de l’écriture. Voyez comme il est joyeux de découvrir ces enfants jouant un rapport physique, sensoriel avec les lettres de l’alphabet sans encore savoir ce qu’elles représentent.

« Je reçus un jour une délégation de deux ou trois mères. Elles venaient me demander d’apprendre à lire et à écrire à leurs enfants. (…) C’est alors que les plus grandes surprises me furent réservées. Je n’enseignai d’abord aux enfants de quatre à cinq ans que quelques lettres de l’alphabet que je fis découper dans du carton par la maîtresse. J’en fis également découper dans du papier émeri, afin de les faire toucher du bout du doigt dans le sens de l’écriture ; je rassemblai ensuite sur une table les lettres dont les formes étaient voisines entre elles, pour rendre uniformes les mouvements de la petite main qui devait les toucher.

La maîtresse aimait ce travail et s’attacha à ce début si important. Nous étions étonnées de l’enthousiasme des enfants. Ils organisaient des processions, brandissant en l’air les petits cartons, ainsi que des étendards, et poussaient des cris de joie. Je surpris un jour un enfant qui se promenait tout seul en disant :

Pour faire Sofia, il faut un S, un O, un F, un I, un A et il se répétait les sons qui composent le mot. Il était donc en train de faire un travail, analysant les mots qu’il avait en tête et cherchant les sons qui les composaient. Il faisait cela avec la passion de l’explorateur sur la voie d’une découverte. »

Plaisir de la découverte, manipulation de la langue, expérimentation de ses effets sur les lecteurs, c’est par cela qu’on commence, en atelier. Ainsi des personnes éloignées de leur propre expression peuvent-elles retrouver goût à ces signes qu’on accumule sur le papier ; aux phrases qui se déroulent et s’étirent ou se suspendent sous la pression des mots qui montent à la page ; au sens qui s’invente progressivement. Si les adultes ne crient plus de joie comme ces enfants qui découvrent qu’ils écrivent dans la classe de Maria Montessori, le plaisir du texte ayant enfin saisi ce qui cherchait à se dire est un plaisir qu’on partage, en formation ou atelier.

plaisir de lire

« Quand, dans la Maison des Enfants, se produisit l’événement le plus important. Un enfant se mit à écrire. Sa surprise fut telle qu’il cria de toutes ses forces : J’ai écrit ! J’ai écrit ! Ses camarades accoururent, intéressés, regardant les mots que l’enfant avait tracés par terre avec un petit morceau de craie blanche.

Moi aussi! moi aussi ! crièrent d’autres enfants, et ils se dispersèrent. Ils allaient chercher des moyens d’écriture ; quelques-uns se groupèrent autour d’une ardoise, d’autres se couchèrent par terre et, ainsi, le langage écrit fit son apparition comme une véritable explosion.

Cette activité inépuisable était comparable à une cataracte. Ces enfants écrivaient partout, sur les portes, sur les murs et même, à la maison, sur les miches de pain. Ils avaient de quatre à cinq ans. L’établissement de l’écriture avait été un fait brutal. La maîtresse disait : Cet enfant a commencé à écrire hier, à 3 heures. »

Explorer la langue. Développer ses propres formes à travers toutes sortes de recherches créatives. S’inspirer de la musique d’un style, d’un thème, d’une histoire transmise par la voix d’un écrivain. Ensuite — parce qu’on a développé un rapport concret avec la langue et les contraintes d’écrire — ensuite s’arrêter, lisant, sur un passage où l’on découvre comment l’auteur s’y est pris, avec ces contraintes qu’on a soi-même découvertes en faisant.

plaisir de lire

Je vous laisse découvrir les différentes péripéties qui séparaient encore les enfants de l’appropriation de la lecture après la joie de se découvrir écrivant, ici : La lecture et l’écriture.

Voir aussi cet hommage à Maria Montessori et sa pédagogie active.