Évocations ?

Leur existence nous échappe. Pour la dire, il faut passer par la fiction.

Écrire une fiction née de la contemplation d’un visage, ou de l’empreinte d’une présence… Une évocation irriguée par les traces inscrites dans la mémoire de celui ou celle qui écrit.

Oui, c’est bien à écrire une évocation que je vous invite, ces évocations dont parle Dominique Viart lorsqu’il analyse les formes nouvelles d’imagination biographique nées de la littérature actuelle : “des biographies fictives, qui tentent de restituer des vies singulières, entre biographies imaginaires et évocations biographiques” ; des fictions qui “ne cherchent pas le moins du monde à masquer leur ignorance”.

Chercher à saisir le geste de celui ou celle qu’on évoque… Le geste ? Sa façon singulière d’être aux autres, au monde – ce qu’il ou elle joue, donne, transmet… Interroger ce geste dans ce qu’il a d’unique pour celle ou celui qui écrit.

Nous procéderons par questionnements, par touches successives – sans chercher à relater la continuité d’une vie -, dans un jeu de va-et-vient entre le sujet écrivant et son objet d’écriture… Et peut-être découvrirez-vous, chemin faisant, comment le désir dont vous êtes habité s’est nourri aux figures des autres ?

Je parlais ici de l’esprit de la collection L’un et l’autre, créée chez Gallimard par Jean-Bertrand Pontalis, qui donne, dans Traversée des ombres, le très sensible portrait de son ami, le poète Claude Roy.

“Au-dessus de deux fenêtres ouvertes sur le jardin, une photographie. Lassitude dans le regard, un regard très doux qui se porte ailleurs, au-delà de l’objectif, mais cet « ailleurs » n’a pas de nom, ce n’est pas un autre lieu, un autre monde, juste le signe que les amis, la femme passionnément aimée, les pays où il a voyagé, les écrivains et les peintres qu’il a connus, ses camarades de combat, que tous ceux-là qui lui ont donné le goût de vivre ne seront plus là pour lui, un jour qui ne va pas tarder à venir. […] Cent fois la question a dû lui être posée : « Comment t’y prends-tu pour concilier ton amour des chats et ton amour des oiseaux ? Comment peux-tu supporter qu’Una, qui dort sur tes genoux, se souvenant soudain qu’elle est un félin, se précipite pour s’emparer d’une fauvette ? » J’imagine que Claude devait répondre par un sourire de chat et s’envoler à tire-d’aile. « Tu vois, aurait-il dit, c’est tout simple. Mais je ne suis pas un conciliateur. Pourquoi ne pourrais-je pas aimer les chats et les oiseaux, la Lande de Belle-Île et les rues de Paris, Kyoto et Venise, les morts et les vivants, l’hier et l’aujourd’hui, Pierre et Paul qui pourtant se détestent ? »

De nombreux auteurs contemporains nourriront le travail de l’atelier. Bergounioux, Cannone, Darrieussecq, Dussidour, Gantheret, Germain, Gracia, Lachaux, Léger, Liscano, Michon, Pauly, Pontalis… J’en oublie…

Nathalie Léger, parmi eux, pour ce qu’elle dit de son travail autour de personnages ayant existé. “Cette circularité, entre soi et le personnage, qui fait écrire à partir des questions que ce personnage nous pose.” Le moteur de l’écriture d’un triptyque : L’exposition, puis Supplément à la vie de Barbara Loden, jusqu’à La robe blanche.

« Pourquoi cette fille, à qui tout semble réussir lorsqu’elle fait un film, met en scène un personnage qui est la déchéance même ? C’est cet écart qui m’a intéressée. »
Nathalie Léger, parlant de Supplément à la vie de Barbara Loden.

Voir ici la présentation de cet atelier désormais proposé par e-mail.

Modigliani - MET New York

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Vies

L’atelier d’écriture est bien une chambre où se transforment les flux, les bruits, les chocs, les échos qui nous parviennent du monde…

… un monde dont il était difficile de penser qu’il était nôtre, en ce 15 novembre 2015 lorsque nous nous sommes réunis pour le premier week-end de l’atelier Trouver sa voie dans l’écriture, le surlendemain des attentats. Ce jour-là, je vous ai invités à écrire avec Prendre dates, de Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet. Écrire et lire nous ont sortis de la sidération qui s’était abattue sur nos âmes. Vos textes ont pansé la violence impensable — cette plaie dans le tissu social. Nous les avons accueillis avec respect, comme chaque fois.

Un mois plus tard, les mots et images de la communication avaient repris leur activité incessante — quelques penseurs, heureusement, cherchaient sens à l’effraction barbare. Le Monde publiait un mémorial aux 130 victimes des attentats pour « leur donner un visage, raconter qui elles étaient, leur rendre vie à travers ceux qui les connaissaient et les aimaient. »

Prendre langue pour dire ces vies brisées… À mon tour je vous ai proposé d’écrire des vies. Nous ferions, nous aussi, œuvre de mémoire. Contre la mort qui s’abat, implacable et aveugle, nous donnerions vie à des être chers, disparus, en évoquant leur présence dans l’écriture.

Écrire des vies, oui, mais vivantes : « telles que la mémoire les invente, que notre imagination les récrée, qu’une passion les anime. » Ainsi JB Pontalis avait-il initié l’esprit d’une collection qu’il créa chez Gallimard, L’un et l’autre : « l’auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. »

Voyez François Gantheret, lorsqu’il suit les pas de Paul Cézanne cherchant à saisir les beautés du grand corps de la montagne Sainte Victoire, dans Petite route du Tholonet :

« Je l’envie. Ce chemin qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, je sais bien qu’il fut aride, douloureux, décevant sans cesse, et dans quelle solitude il le parcourra. Mais, si tôt dans une vie d’homme, et de façon si certaine, savoir que là est son destin, sa tâche, sa nécessité absolue, douter toujours de l’accomplir vraiment, mais jamais de la route à suivre, et témoigner de ce que l’on découvre, donner à d’autres hommes des yeux qu’ils ne se connaissent pas, et le donner si généreusement qu’ils ne pourront éprouver que la gratitude et non l’envie, voilà ce que j’envie. »

Lisez aussi Dominique Dussidour, lorsqu’elle s’approche des affres de la création chez Edgard Munch dans Si c’est l’enfer qu’il voit :

« Il est le peintre qui a dévié chacun de ses cris jusqu’au bout de ses doigts, (…) le doigt de qui crie en silence car s’il avait commencé de crier il aurait commencé tôt, à la mort de sa mère, à la mort de sa sœur dans un asile d’aliénés, et pourquoi ne crier qu’aux morts, les naissances aussi sont douleurs (…) s’il avait crié à la mort il aurait crié pour tout (…)
S’il avait commencé de crier aucune journée ne lui serait restée pour peindre, voilà la vérité, c’est qu’il en faut, des jours, pour apprendre à peindre, tellement de jours qu’il ne vous en reste plus pour crier, revoilà la vérité, le choix qu’il avait fait à dix-sept ans, il aurait aussi bien noté dans son journal : j’ai décidé de ne pas crier. »

J’avais apporté d’autres livres. Mes clandestines, de Sylvie Gracia, pour les liens qu’elle établit entre sa grand-mère brodant, silencieuse, des draps de chanvre épais et elle-même, écrivaine invisible, « cantonnée dans les marges silencieuses » de la littérature actuelle — pour les liens qui se tissent entre l’auteure et ses clandestines. Liens d’identification, d’inspiration, d’amour et de rivalité, de filiation ; l’une (l’auteure) naissant peut-être de la rencontre avec celles qu’elle fait naître dans l’écriture (ses personnages).

J’avais aussi apporté Pierre Michon, pour ses Vies minuscules et son œuvre, et Belinda Cannonce, avec Le don du passeur (dont j’ai parlé ici) :

« Au tout début de Paris, Texas, de Wim Wenders, on voit un homme marchant le long d’une voie ferrée, seul, le visage buté, mal fagoté, obstiné et ayant l’air, je ne sais pourquoi je le crois, de faire un long voyage bien qu’il ne porte aucun bagage, et d’aller fermement vers nulle part. C’est une des images complexes comme le cinéma nous en offre parfois, et qui prennent aussitôt place dans un recueil très intime et précis. Dans ce marcheur j’ai d’emblée vu mon père — pour l’errance, la solitude et l’ardeur. »

Écrire. Chercher le souffle de la phrase, les détails qui donnent à voir, les mots justes. Penser, rêver une présence. Recueillir les traces qu’elle a laissées, les porter à la page, évoquer…

Ensemble, avec les mots, encore une fois nous avons fait œuvre vivante d’humains, dans l’atelier.

vies

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Ce qui ne s’est jamais dit

On travaille à partir de quelques images auxquelles on est assujetti, qu’on tente de déployer dans l’écriture…

… écrivait celui qui cherchait ce qui se cache sous les mots, invisible.

    « On écrit pour laisser la parole à ce qui ne s’est jamais dit, à ce qu’on n’était pas à même de dire. On s’avance sur un territoire inconnu, non quadrillé, non répertorié dans notre cartographie intime. Écrire, pour moi, c’est une traversée sans boussole, sans orientation précise. »

JB Pontalis, dans L’amour des commencements, se demande comment l’enfant qu’il fut — plongé dans le silence par la disparition précoce de son père — devint le psychanalyste, écrivain et éditeur qu’il était — un homme principalement occupé des faits du langage.

La langue, désirable et mystérieuse, insaisissable et pourtant nécessaire — sa « belle étrangère ».

    « Par brèves saisies, sans que nous puissions décider qui saisit qui, nous avons l’illusion de la tenir, mais la voici de nouveau fugitive et retrouvant du coup tous ses pouvoirs – d’envol, de dispersion, d’ubiquité, d’enracinement. Air, eau, feu, terre : en elle se conjuguent tous les éléments. »


Braque, Grand Palais 2013

Dialogue avec Colette Fellous sur France Culture au moment de la sortie de L’enfant des limbes : À voix nue — pour le plaisir d’entendre à nouveau sa voix.