Écriture et désir

« C’est pour survivre à la violence du monde que j’écris. Pour la réfléchir, dans les deux sens du terme », écrit Belinda Cannone dans Le don du passeur…

… un livre bouleversant. Une fille y dit son amour pour son père. Écrivant, elle restaure la dignité de l’homme qui n’a pas su vivre comme le social l’attend. « J’ai l’impression d’avoir tressé deux brins, lui et moi, soudés par l’amour et par ma reconnaissance. Car je mesure à quel point il a été ma chance. » Sa chance, ce père dont elle ne masque ni la fragilité, ni l’inaptitude à vivre heureux ? « … on est héritier, toujours, des désirs et des peurs, du meilleur et du pire, et puis l’on passe sa vie à faire le tri – garder la force et conjurer les freins, déjouer les loyautés paralysantes – pour atteindre ce qui nous permet de ne pas démériter de l’aventure humaine : la capacité de réinvention permanente. »

Écrire, donc, pour survivre à la violence du monde.

Aujourd’hui, c’est d’un autre ouvrage de Belinda Cannone que je viens vous parler, espérant — après avoir reçu tant de vif désir de cette lecture –, vous en passer un peu.
L’écriture du désir est un récit d’amour — de l’écriture, de la lecture, de la littérature : « le désir de connaître que les romans manifestent, et qui nourrit la lecture. Ce qui compose l’étrange et sinueux tracé de la littérature et de notre existence. »

Je suis faite des livres que j’ai lus. Je tiens debout grâce aux textes que j’ai écrits. Tout ça palpite et s’accroît lorsque j’ouvre un livre qui me fait signe — l’insatiable curiosité pour la monde, la vie, être femme / homme désirant dans le monde aujourd’hui.

« L’expérience de la lecture, comme celle de l’écriture, est celle d’une rencontre vive. Écrivant, je m’abouche au monde, je l’étreins, je me laisse étreindre, je chante. Lisant, je rencontre une pensée, une vision (…), j’ai l’illusion fructueuse de présences – les personnages. De cette rencontre naissent connaissance, plaisir et émotion. »

Belinda Cannone a souvent écrit autour du désir. Du désir et de ce qui l’empêche — les freins, ce qui nous confine dans la recherche du même et nous retient d’inventer, d’être vivants. Le désir…

« Nous émerveiller de notre présence au monde, du désir qui nous meut et nous change et nous fait chanter… »

« Aujourd’hui, toujours, le roman nous enseigne à vivre.
Ainsi je découvre le monde, le roman me le fait connaître car il m’enseigne ce qu’est y être sujet et aucune expérience réelle, fût-elle riche et pleine et comblée, ou aventureuse et surprenante, aucune expérience, parce qu’elle est nécessairement limitée, ne peut donner à éprouver et à comprendre le millième de ce que la lecture nous apprend. »

« Le roman est « une région du monde à part entière ». La visiter (lire) nous fait vivre une expérience. Par ce mot qui désigne l’implication de l’être dans un endroit de l’univers à un moment donné, implication telle qu’il en éprouve des émotions et qu’il en sort enrichi, agrandi d’un savoir, d’une aptitude, d’une connaissance, je distingue la littérature de la philosophie. (…) En lisant Proust, j’apprends cent figures de l’amour, du désir ou de la jalousie que je ne vivrai jamais. Proust ne m’indique pas comment je devrais agir. Il décrit des situations. La connaissance que m’apportent ces situations me permet de traverser ma propre existence avec les yeux mieux ouverts. »

Les yeux mieux ouverts… il s’agit bien là de renaissance et de désir. De cette soif de connaître et de comprendre que je vois croître dans les ateliers que je conduis, une fois qu’écrire a montré combien l’usage régulier de la langue peut aider à questionner, chercher, construire… Alors se trouve, dans l’écriture, ce qui fait ma joie dans la rencontre des livres : un auteur s’en remet au langage pour répondre à une question essentielle, trouver une clé.

« seule l’intuition préexiste à l’acte d’écrire. Les mots sont l’idée. Sans mots, pas d’idée. »

J’ai ouvert deux ateliers depuis l’été. L’un avec des auteurs confirmés, l’autre avec des personnes qui se sont engagées dans un chantier au long cours. Chaque fois, la sensation du désir comme d’un souffle dans les voiles de l’atelier — grâce au soutien du groupe, à la présence des lecteurs bienveillants et avertis.

« Allons travailler. Car face au doute se dresse le grand désir qui entraîne la coque légère dans son flux puissant et qui dit : Va ! Tu passes entre les astres, et même si ton passage ne laisse pas de trace, ou à peine un souffle léger, une brume, une note impondérable, que ta danse soit joyeuse, flamboyante, et belle. »

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Utagava Kunisada II, Dit du Genji, ch 9
Fondation Van Gogh, Arles

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