Avec Charles Juliet

Ce qui compte, c’est qu’un livre dise le vrai, nous fasse découvrir un inconnu, émette des vibrations qui émeuvent nos profondeurs.

« J’écrivais sur des carnets, des feuilles volantes, au dos d’enveloppes qui traînaient dans mes poches. L’écriture me servait à me rejoindre, à m’unifier, à renouer le contact avec l’être du dedans ; elle m’aidait à m’élucider, et aussi, à mieux me ressentir. »

« Je n’ai jamais pris la décision de tenir un Journal. Si je me suis mis à griffonner des notes, c’était faute de pouvoir écrire autre chose. J’avais besoin de me connaître, de m’explorer, me clarifier, m’unifier. Après avoir amassé un certain nombre de notes, il m’est apparu un jour que j’écrivais un Journal. Durant toutes ces années, je l’ai considéré uniquement comme un moyen de recherche et d’apprentissage, non comme une œuvre possible. Mais depuis que je l’ai publié, les lettres de lecteurs que j’ai reçues m’ont fait changer d’avis. Ils me disent en effet que ces ouvrages sont pour eux une nourriture. Que certaines notes leur ont révélé ce qu’ils étaient. Qu’elles les aident à s’exprimer. Qu’elles ont mis fin à leur solitude en leur apprenant que leurs interrogations, leurs tourments, leur souffrance, un être en qui ils se reconnaissaient les avait vécues. »

« Ce sont donc ces lettres qui m’ont conduit à penser qu’un Journal n’avait pas à être considéré comme une œuvre de second rang. D’ailleurs, qu’importe qu’un livre appartienne à tel ou tel genre littéraire. Ce qui compte, c’est qu’il dise le vrai, nous fasse découvrir un inconnu, émette des vibrations qui émeuvent nos profondeurs. »

Charles Juliet, dans Trouver la source (La passe du vent, 2000)

10 réflexions au sujet de « Avec Charles Juliet »

  1. J’ai été de ces lecteurs qu’évoque Charles Juliet. Surtout la lecture du premier tome, 1957-1964, si intense, terrible, où le mot suicide revient sans cesse puis va s’estompant. Une marche vers la lumière. En tout cas pour moi un homme qui montre le chemin vers soi. J’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois le poète dans ma ville de Fougères. De grand moment littéraires ! Son Journal n’a jamais plus quitté ma table d’écriture : il est là !
    Merci de ce bel article hommage à un grand écrivain.

    • Oui, Serge, une présence favorable à la table d’écriture, celle de l’homme qui écrit, dans Attente en automne : « Je traîne de lourdes entraves et je ne parviens pas à m’en libérer. C’est la raison pour laquelle je piétine ou avance si lentement. Mais je ne désespère pas car je suis armé d’une détermination inflexible. Chaque fois que je trébuche ou m’effondre, je me relève. »

  2. Charles Juliet est un artisan de l’écriture.
    Occupé à raconter l’être du dedans comme s’il était un autre, insaisissable inconnu.

    • Merci, Tieri. Pour toi, ces notes prises un jour l’écoutant parler de son travail : « Comment se fait-il qu’une voix triste comme celle de Tchekhov nous devienne si consolante ? C’est qu’elle dit la vérité, et la vérité même triste, même dure, est toujours plus consolante à entendre que le mirage et le mensonge. C’est ainsi qu’on devrait écrire, ni plus haut ni plus bas : Tchekhov a trouvé le ton juste de l’âme, tous ses mots partent de l’élément sensible de l’être, il n’y a aucun qui soit prétentieux, aucun qui soit faux. »

    • Oui, Nicolas, on peut se sentir encouragé par l’auteur qui dit : « Je suis quelqu’un de très laborieux, qui écrit avec beaucoup de difficulté, très lentement. Pendant longtemps j’ai cru que c’était un handicap, ça ne faisait que me dire que je manquais de capacité, de talent, mais maintenant je me réjouirais plutôt d’être quelqu’un qui écrit avec lenteur car, me semble-t-il, lorsqu’on écrit avec lenteur, on arrive mieux à charger les mots de ce qu’on veut leur faire dire ; d’énergie, de tout ce qu’on veut, évidemment, faire passer. »

  3. Ces mots que tu graves
    sur la feuille
    ils naissent des lèvres
    de la blessure

    « Moisson », de Charles Juliet,
    voyageur du fond de l’être

    • Oui, Christine, et aussi : « Écrire, c’est me laisser scander par un rythme, un rythme qui m’est imposé par celui du souffle. Écrire la voix, c’est simplement transcrire les mots de cette voix qui ne cesse de murmurer dans le silence de ma nuit. C’est pour se mettre à l’écriture de cette voix que l’écrivain a besoin de se retirer dans la solitude et le silence. »

  4. Je réagis un peu à retardement, mais avec grand plaisir à cette ouverture à la lecture des livres de Charles JULIET que je côtoie de très près depuis une bonne quinzaine d’années. Bien connu et reconnu à LYON où il vit et dans son Ain natal où une école porte son nom…il est l’un des témoins vivants de l’utilité de l’écriture dans une trajectoire de vie déviée par des événements familiaux qui ont conditionné son rapport au monde et à la parole. Il a réalisé ce qu’il appelle encore une « aventure intérieure » en déblayant peu à peu tous les motifs d’empêchement à promouvoir une lucidité sur soi et sur les ressources profondes disponibles pour adhérer à la vie et aux rencontres nourrissantes qu’elle procure. Il a épuré son style initial pour ne garder que les mots simples et essentiels. Ses poèmes sont des condensés d’expérience et leur lyrisme très contenu est volontaire. L’écriture n’est plus pour lui un épanchement de soulagement mais un travail de mise en forme tourné vers le lecteur avec qui il cherche très doucement à donner les clés de toute relation privilégiée universelle. Refusant l’anecdotique et la complaisance narcissique, il aime rencontrer chez l’autre les strates qui mènent de l’extrême dénuement à l’extrême effort pour se hisser hors de la détresse. Epris de vérité, il considère avec circonspection » le savoir comme antichambre du pouvoir » et admire volontiers les êtres qui s’oublient pour mieux accueillir l’autre. « Ecouter l’autre, c’est le faire exister ». Il n’est plus aussi solitaire qu’au début et a parfois du mal à préserver l’espace de l’écriture dans les proportions dont il a besoin. Le rencontrer est toujours un moment de plénitude. Le lire est une façon de prolonger la nécessité d’être au contact de soi pour mieux s’en éloigner avec des forces nouvelles. Bonnes Lectures et Bonnes Rencontres à vous tous !
    Bientôt sera rejoué en région Lyonnaise, son LAMBEAUX au TNP par Anne de Boissy. Si vous ne l’avez pas encore vu, soyez attentifs aux dates, car les places s’arrachent…
    Pour vous tenir au courant, si vous le souhaitez, je vous suggère cet agenda éclectique tenu à peu près à jour selon ses indications. Voir aussi chez son éditeur principal P.O.L.

    http://la_cause_des_causeuses.typepad.com/attentivement_charles_jul/
    http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=2-86744-491-8

    • Merci, Marie-Thérèse, d’apporter votre témoignage de lectrice de l’oeuvre précieuse de Charles Juliet.
      Votre regard a l’amitié née des vraies rencontres, merci pour lui.

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