Écrire la ville au fil de l’eau

« Dans une ville, c’est un canal.carte canal ourcq
C’est une route d’eau qui croise notre route d’asphalte.
Une route d’eau, pleine, quelque chose au bout. Elle brille. Est-ce la mer qui est devant ?
On sait qu’on ne le peut pas, on voudrait quand même s’engager dessus.
C’est une ville, on y marche. »

 

Écrire avec la voix de Virginie Gautier, dans Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire, lisible chez publie.net ?

 

chemins d'eau

À travers et hors la ville, des chemins d’eau…

automne à la villette

« C’est une ville, c’est une tapisserie.
Une broderie, un écran de fumée, un rideau à soulever. »

 

 

Écrire sur les berges du canal de l’Ourcq,
dans ce quartier où se lisent les transformations récentes de la ville,

soleil encore cette fois

vers Pantin

 

écrire le proche ou le lointain,

ce qu’on voit ou ce qu’on imagine

— tandis que le regard emporte loin les rêves

au fil de l’eau.

 

« On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique »,  écrit Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves, ouvrage qui donne son nom à la péniche librairie que nous croisons, au fil de l’eau.

écrire au fil de l'eau

Poursuivons avec Virginie Gautier :
« C’est une ville, elle a des frontières visibles et des frontières invisibles. On fait un pas de plus pour voir jusqu’où on a le droit d’avancer. »

ourcq

 

« C’est une ville, on nage dans son eau.

On plonge dans l’oubli davantage. Dans l’oubli on fait son trou. Avec à l’intérieur de soi ces sortes de maisons qu’on cache. Plusieurs portes, on entre, on sort, on marche dedans. Home made. Mobile Home. Avec à l’intérieur de soi, des morceaux de territoires.

On parle une langue, n’importe laquelle, on marche dedans. Personne ne se retourne. D’ailleurs la rue derrière est transformée. La rue derrière est différente déjà, méconnaissable. Le temps ne s’y arrête pas.

On prend les choses en marche, les marches en vol. On saute dans un train. On est lourd, on est léger. Le paysage défile de plus en plus vite. Les noms des gares sont impossibles à retenir.
Illusion de l’âge, on croit savoir, on se croit de quelque part. On dit je suis d’ici. On est d’un autre temps, qui échappe. Autant dire d’ailleurs, autant dire de plus jamais.

C’est une ville, elle n’a fait que nous perdre. »

 

à bord        lucarne

 

L’atelier s’est déroulé samedi 29 novembre 2014. Il faisait froid et beau pour cette écriture au fil de l’eau, entre la Rotonde et — au-delà du pont levant vers La Villette –, la péniche Grande Fantaisie où nous nous sommes retrouvés pour lire vos textes.

Écrire avec Modiano

Pourquoi le mot « abri » s’impose-t-il avec une belle évidence alors que je suis en repérage dans le petit parc de Belleville

où nous nous retrouverons pour écrire, après quatre samedis aux Buttes Chaumont ?

parc belleville 3    parc belleville 5
Abri, nid, hutte… Quelles cabanes construites autrefois me font aujourd’hui élire ce jardin comme un possible coin du monde ?

Bachelard est sans nul doute avec moi lorsque naît l’idée de cette proposition d’écriture : des personnages traversent ce jardin, y cherchent un abri… Qui sont-ils, d’où viennent-ils, que cachent-ils, que cherchent-ils ?

Quête, disparition, oubli…

L’actualité littéraire conduit mes rêveries vers Modiano, ses personnages en recherche d’identité, les secrets, les enquêtes, les vies en fuite, l’espoir de retrouver un jour ceux qu’on a perdus dans le passé…

« En avançant de plus en plus loin dans l’oubli, donc dans la trace, donc dans la précision maniaque, Modiano s’est fait cartographe. »

 

parc de belleville 10

« Les romans de Modiano sont pleins de noms de rue, de lieux, de stations de métros, d’hôtels. » Les noms de rues deviennent une sorte de grammaire romanesque, ils tressent dans Paris des réseaux de cheminements intimes, de quêtes.

Détective du passé, voguant dans ses souvenirs, l’oubli accompagne la dérive des personnages dans la ville — personnages toujours entre deux quartiers, entre deux vies.

 

parc belleville 7

 

L’idée de la proposition se précise : différents plans du jardin et du quartier déterminent le territoire des récits. Un plan ancien figure la présence du passé. Il peut inspirer un secret pour l’un des personnages qui traversent le parc, ou l’objet d’une quête qui le pousserait à devenir « détective du passé », comme Modiano.

 

Le texte suit l’un des personnages dans son trajet à travers le quartier puis le jardin, vers l’endroit qui, pour lui, fait « abri »…  D’autres personnages ? D’autres trajets vers d’autres abris ? Les personnages se rencontrent-ils ? Se sont-ils connus autrefois ? S’étaient-ils perdus de vue ?parc belleville 9

 

Mémoires d’eaux avec Bachelard

Samedi 21 juin — dernier des 3 samedis de l’atelier du printemps aux Buttes Chaumont.

Mes rêveries préparatoires m’avaient conduite vers Gaston Bachelard et son travail sur « L’eau et les rêves » : La ville fêtera ce jour-là la musique ; nous écouterons les chants de l’eau dans le parc avec Bachelard ; vous écrirez les mémoires qu’elle éveille.

Avec Bachelard qui se souvient :

    « Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières, dans un coin de la Champagne vallonnée, dans le Vallage, ainsi nommé à cause du grand nombre de ses vallons. La plus belle des demeures serait pour moi au creux d’un vallon, au bord d’une eau vive, dans l’ombre courte des saules et des osières. Et quand octobre viendrait, avec ses brumes sur la rivière… Mon plaisir est d’accompagner le ruisseau, de marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la vie ailleurs, au village voisin. »

Avec Bachelard lorsqu’il invite à écouter le chant du ruisseau :

    « Heureux celui qui est réveillé par la fraîche chanson du ruisseau, par une voix réelle de la nature vivante. Chaque jour nouveau a pour lui la dynamique de la naissance. A l’aurore, le chant du ruisseau est un chant de jeunesse, un conseil de jouvence. »

14 tiens - une cascade           38 des tableaux végétaux

Avec Bachelard lorsqu’il écrit :

    « On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. »

Avec Bachelard qui dit la profonde maternité des eaux :

    « L’eau gonfle les germes et fait jaillir les sources. L’eau est une matière qu’on voit partout naître et croître. La source est une naissance irrésistible, une naissance continue. »

Avec Bachelard qui, après « La poétique de l’espace », scrute les liens entre âme et eaux :

    « Le passé de notre âme est une eau profonde. Et puis, quand on a vu tous les reflets, soudain, on regarde l’eau elle-même ; on croit alors la surprendre entrain de fabriquer de la beauté ; on s’aperçoit qu’elle est belle en son volume, d’une beauté interne, d’une beauté active. »

avec Bachelard