C’est avec Sophie Calle…
… que m’est venue l’idée d’un jeu d’écriture pour la reprise de notre atelier des Buttes Chaumont.
Au printemps vous aviez écrit à partir de vos observations, de votre perception de l’espace avec Perec, ou encore à partir des souvenir générés par les bruits de l’eau, avec Gaston Bachelard… je cherchais comment aborder l’espace autrement — comment vous faire passer d’une posture passive (observer et l’écrire) à une recherche active.
Le nom de Sophie Calle venait de réapparaître à l’occasion de S’il y a lieu je pars avec vous. Les noms des artistes aimés résonnent chacun à leur manière. Celui de Sophie Calle éveille, depuis le début, ma curiosité joyeuse. Il promet une œuvre vivifiante, décalée, et le plaisir de la suivre jusque dans ses expérimentations les plus graves (Mother).
J’ai repensé aux premières œuvres, les Filatures parisiennes, La suite vénitienne, La filature…
Sohie Calle suit des inconnus dans Paris. Elle se prend au jeu et suit un homme jusqu’à Venise, se fait elle-même suivre par un détective… « J’avais dégoté un job de barmaid. Je faisais vaguement de la photo. […] Mais il fallait trouver quelque chose à faire. J’ai commencé par suivre des gens dans la rue. Je me suis aperçue que cela donnait une direction à mes promenades. C’était une manière de me laisser porter par l’énergie des autres, de les laisser décider les trajets pour moi. Et de ne pas avoir à prendre de décisions, sans pour autant rester cloîtrée chez moi. […] Circuler, découvrir ma ville. Et aussi errer, comme je l’avais fait durant mes voyages. »
Sophie Calle inscrit ses premières filatures dans des carnets, entre photos et écriture. La filature devient une méthode de déambulation et d’appréhension intuitive des quartiers.
« Je ne suivrai que des inconnus, je découvrirai peut-être certaines de leurs habitudes mais ils doivent rester des inconnus. Je suis les gens sans aucun autre motif que celui de les suivre. Je suis pour suivre. De moi ils ne savent et ne sauront rien. Et eux ne sauraient être autre chose que des suivis. »
Dérive ? Flânerie ? se promener sans hâte, au hasard, en s’abandonnant à l’impression du moment. Chaque filature est déclenchée par un détail : « parce que sa coiffure m’avait étonnée » , « parce qu’elle croulait sous le poids d’un paquet », « parce qu’elle se retourne sans cesse ». La dérive trouve son accomplissement lorsque l’autre lui échappe.
Écrire des filatures, donc ; rompre avec nos modes de déplacement, adopter une attitude d’observation active : renoncer à nos raisons habituelles de nous déplacer et d’agir pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres.
ils ont traversé le parc très tranquillement, les 3 ; elle lui a pris la main avant que je ne les perde de vue.
Ces filatures tissent un réseau de trajets à travers le parc, elles nous entraînent en d’autres trajectoires que celles que nous aurions choisies, disent d’autres usages, inconnus, du jardin…
Vous prenez des notes comme vous auriez pris des photos — corps, démarches, rythmes, mouvements ; ce qui a attiré votre regard qui fait que vous continuez à le / la voir de loin… vous suivez la personne jusqu’au moment où elle vous échappe, ou lorsqu’elle passe une grille et sort du parc (vous ne sortez pas du parc) ; alors vous choisissez une autre filature.
Laissez venir, avec les notes, ce que vous imaginez de l’inconnu(e) que vous suivez, ce que la filature provoque comme sentiment – curiosité, excitation, ennui… et mêlez ces observations avec les faits observés – l’action du trajet avec le décor, les noms des allées, les lieux, l’heure, les gestes, les paroles, le mouvement.
Ce que nous cherchons ? Saisir un réseau de trajets qui disent à leur manière le parc, l’inscrive dans son existence géographique par les traversées de vos filatures…
FILATURES :
Suivre quelqu’un, sans qu’il s’en aperçoive, en lui volant son souffle et ses pensées pour les coucher sur le papier.
Suivre sa voie, sa voix d’écrivain, sa manière à soi de mettre son grain de sel, de mettre la main à la pâte, de moudre son grain.
Suivre le mouvement ondulant de la foule des marcheurs, des joggeurs, des poussettes et des ballons qui roulent dans ce parc multimodal où se croisent plein de communautés.
oui, ta voix d’écrivain, Christine : nous l’entendons avec plaisir !
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