Comprendre est une traduction

« Comprendre est une traduction, un travail à faire traverser aux mots de l’autre toutes les couches qui constituent notre manière unique

de donner un sens à ce que dit l’autre en le traduisant dans notre propre langue, celle, singulière, héritée de l’enfance, du pays, de l’histoire, des fantômes qui nous constituent. »

Lorsque j’anime un atelier d’écriture, lorsque je forme des professionnels à développer leur expression écrite au travail, la posture – outre la compétence à faire entrer les personnes dans l’écriture -, repose en grande partie sur la capacité à écouter ce que chacun cherche à exprimer dans ses textes, à le comprendre.

J’aime m’appuyer sur ces fragments de Les morts ne savent rien, de Marie Depussé, pour donner à entendre l’aléatoire de cette écoute :

(Marthe, dans les fragments suivants, est une personne en souffrance psychique accueillie à La Borde, haut lieu de la psychothérapie institutionnelle, où vit et écrit l’auteure.)

« Je sais que lorsqu’elle me demande comment je vais, Marthe s’applique à faire traverser mes mots, en elle, un nombre infini de couches. Elle me dit : « Tu es une intellectuelle et aussi une manuelle, enfin… », et là elle sourit : « … une intellectuelle, plutôt. »

Un jour un petit chat que j’aimais est mort, affreusement. Je courus vers sa chambre, la masse de son corps inerte était tourné vers le mur. Je posai la main sur elle, elle ne bougeait pas. Alors je dis : « Le petit chat gris est mort, Marthe. » Elle se redressa d’un seul coup, me prit la main et dit : « Oh ! Alors, tu ne pourras plus écrire !… » Et elle laissa sa toute petite main sur la mienne. »

Les morts ne savent rien, de Marie Depussé, P.O.L. 2006.

regarder