Depuis vingt ans je rencontre des professionnels des métiers de l’humain — travail social, éducatif, médico-social, psychologique, judiciaire — qui se trouvent en difficulté avec l’écriture professionnelle, lorsque j’interviens en formation.
Pourtant, ces professionnels savent écrire. Ils le montrent dès que je propose de raconter une rencontre avec une personne suivie ; ils le comprennent dès qu’ils se trouvent dans le cadre d’une écriture accompagnée – c’est-à-dire une écriture demandée puis accueillie de façon bienveillante et constructive, lorsque les textes qui viennent d’être écrits sont lus oralement par leurs auteurs dans le groupe.
Pourtant, ces professionnels savent aussi penser leurs pratiques : les récits produits en formation plongent en effet les lecteurs au cœur de la difficulté humaine et des projets qu’on tente de faire avec le vivant rencontré.
Alors, qu’en est-il de ces difficultés ? Peur de n’être pas assez objectif, pas assez à distance, comme le demandent les normes de l’écriture professionnelle… peur de n’être pas compris dans son écrit, de trop se dévoiler en écrivant ce que l’on pense de l’autre… peur de trahir la confiance donnée, ou, plus simplement, de se tromper dans son analyse… peur de la responsabilité humaine : des décisions que prendront les lecteurs à partir de son propre écrit…
J’ai longtemps pratiqué ces écritures avant d’intervenir sur le sujet en tant que formatrice. (Je l’ai raconté ici.) J’appelle ces écritures : « Écrire au sujet d’autrui ». Je pense — et cette pensée est vérifiée par l’expérience — qu’écrire devient plus facile dès lors qu’on comprend qu’il s’agit d’un processus où doutes et questions nourrissent la construction, étape après étape, de la pensée qu’on va transmettre.
Je pense aussi que rencontrer des lecteurs favorables et ouverts, dans les groupes de formation, permet de penser autrement les enjeux de ces écrits professionnels — en apprenant, notamment, à se représenter les besoins des lecteurs.
Mais laissons plutôt la parole à des personnes qui ont fait l’expérience de ces formations. Six groupes différents (en institution ou en centre de formation), des métiers différents (psychologues judiciaires, équipe pluridisciplinaire d’action éducative en milieu judiciaire, équipe médico-sociales en internat pour enfants handicapés, éducateurs en formation initiales) disent ce qu’ils ont compris de l’écriture après l’avoir pratiquée de façon active et intensive, en formation.
Psychologues judiciaires
« Il faut laisser venir ce qui vient… Je vais pouvoir m’autoriser à commencer par des premiers jets avant d’envisager ce que je dois transmettre dans mon écrit. »
« C’est la première fois que je trouve du plaisir à écrire et à lire, à oser. »
« J’ai retrouvé du plaisir à prendre le temps de penser et de me relire. J’ai envie de reprendre l’habitude d’écrire après les entretiens, pour garder trace de l’évolution. »
« Je remercie le groupe qui m’a permis de lâcher prise. La formation m’a permis de faire le lien entre processus d’écriture et processus du travail clinique : la pensée se construit par étapes. »
« Plaisir de l’évasion et, en contraste, solitude de l’acte créatif. La formation m’a donné envie d’humaniser mes écrits. »
« L’écriture n’est finalement pas un calvaire, elle est un engagement, un pas vers l’autre. »
« J’ai opéré un profond travail de connexion avec moi-même. La formation a mis en lumière des zones d’impasse, j’ai du mobiliser la plus grande honnêteté avec moi-même. »
« Il y a de l’inconfort à se dévoiler devant les autres, mais le cadre permet de dédramatiser. »
« Arrivée en formation surmenée, le groupe et la formatrice m’ont permis de plonger et de retrouver plaisir à écrire. »
« J’ai pu me reconnecter à moi-même et aux autres, grâce à leurs écrits. »
« J’ai lâché prise. »
Une équipe pluridisciplinaire de protection judiciaire de la jeunesse
« Il faut oser donner son point de vue pour ne pas dépersonnaliser nos écrits
« Écrire c’est aider le lecteur à se représenter de qui on lui parle. »
« L’interprétation est une lecture personnelle qui donne du sens à ce que l’on reçoit dans la rencontre avec la personne. »
« Il faut trouver les exemples qui vont illustrer notre propos, ne pas hésiter à nommer précisément notre inquiétude dans les cas de danger. »
« Écrire implique de s’engager, de sujet à sujet. Écrire demande d’être clair dans ses arguments et son positionnement. »
« Mieux vaut donner à voir plutôt que d’affirmer une pensée sans l’argumenter. »
« La famille doit pouvoir se retrouver dans l’écrit que nous transmettons au juge. »
« L’écrit traduit notre propre perception et le lecteur doit pouvoir se faire sa propre opinion à partir de ce que nous lui transmettons. »
« Détenons-nous une vérité sur l’autre ? Écrire demande un engagement personnel, toujours sans certitude de ce que nous avons compris, de ce que le destinataire comprendra. »
« Rester plus proche de ce qu’il se passe réellement, dans mes écrits. »
« La méthode est très intéressante : commencer par lancer sur la feuille me permet de savoir où je vais dans mon écriture en me relisant. Et la relecture par des tiers avant d’envoyer : on peut omettre l’essentiel si on ne se relit pas. »
« Se demander quelle est l’information essentielle. Ne pas oublier que les familles peuvent lire nos écrits. »
Éducateurs et AMP en internat pour enfants handicapés
« Ce nouveau regard sur l’écriture m’a donné plus de confiance. J’ai appris à faire des brouillons. »
« Je ne m’attendais pas à ça, mais j’ai pris confiance en moi, je me suis mise à parler plus au travail. »
« Je sentais qu’il n’y avait pas de jugement, j’ai trouvé des syntaxes par rapports aux phrases, j’étais en confiance. »
« J’ai appris à ne plus avoir peur du regard des autres en découvrant qu’en fait, je savais écrire. »
« J’ai été surpris de savoir raconter la prise en charge d’un jeune, j’ai compris comment on pouvait déplier un écrit. »
« J’attendais quelque chose de carré, des normes, j’avais peur. J’ai apprécié de passer par le ludique avant de revenir au professionnel. Voir le positif en chacun donne confiance : ça ouvre l’esprit et on a moins peur d’écrire. »
« Je ne m’imaginais pas savoir autant de choses sur le jeune que j’ai écrit pendant la formation. En quatre jours, on se sent à l’aise, on a le temps de réfléchir. »
« Je me suis surpris à écrire, j’ai abordé l’écriture professionnelle différemment. Cette formation devrait être proposée à tous les professionnels. »
« Avant, je synthétisais à fond. J’ai appris à lâcher. »
« Le processus d’écriture a été simplifié pour moi. Ça vient plus facilement. »
« On se sent capable de réfléchir et d’écrire. »
« J’ai plus de facilité à trouver mes mots. »
« On est tous capables d’écrire et de se faire comprendre ! »
« Faire connaître notre travail, apprendre à captiver l’autre. »
Psychologues judiciaires
« Cette formation a été un océan de liberté intellectuelle. Mes retrouvailles avec l’écriture me donnent des ailes. »
« Beaucoup de plaisir et d’émotions à entendre les situations très émouvantes écrites par les collègues. »
« Je me sens nourrie et recentrée sur ma propre créativité. L’écoute des textes a été comme une bulle bienveillante et bienfaisante. »
« La notion de contrainte qui allait avec l’acte d’écrire a disparu. »
« J’ai moins peur d’être lue et jugée sur mes écrits. »
« J’ai aimé écouter mes pairs. J’aimerais mettre plus de moi dans mes premiers jets. »
« Une expérience vraiment nouvelle, très forte – j’ai découvert une autre façon d’écrire, j’ai été ressourcée. »
« Beaucoup de plaisir à partager les textes avec les collègues. »
« Une belle progression dans la formation. »
« Surprise de découvrir le va-et-vient entre l’écriture et la relecture de ses textes. Je pense que je serai plus sereine dans la production de mes écrits professionnels. »
« Le climat bienveillant facilite le dévoilement de sa pensée dans l’écriture. »
« J’ai appris à écrire progressivement, par petites touches. C’est un vrai cheminement.
« C’est une nouvelle façon de voir l’écriture professionnelle. »
« J’espère garder le plaisir d’écrire et donner du plaisir à mes lecteurs. »
« La formation ouvre beaucoup de portes, sur soi et sur l’écriture. »
Une équipe médico-sociale en internat pour enfants handicapés
« J’attendais une formation plus scolaire. Je me suis sentie décomplexée, je me mettrai moins de barrières avant d’écrire. »
« La formation a été très respectueuse de chacun de nous, je me suis sentie très à l’aise. Cette formation nous a donné un socle commun dans l’équipe. »
« J’ai compris que nous avons tous la capacité d’écrire même si nous ne le savons pas.
« J’attendais aussi une formation plus scolaire, comme d’autres formations que nous avons déjà reçues. J’ai trouvé comment écrire autrement. »
« J’ai aimé être recentrée sur mon travail en écrivant d’une autre manière. J’ai aimé les interactions entre nous. Merci pour l’écoute. »
« J’avais peur que ça soit ennuyeux et scolaire. Les échanges ont été vivants, il n’y avait pas eu de jugement. J’ai découvert que je pouvais écrire. »
« On a croisé les regards des différents professionnels de l’équipe et trouvé des échos. »
« Je me sens un peu rassurée sur ma capacité à écrire. Je dois commencer par regarder l’autre, celui sur qui j’écris. Je me sens plus en confiance pour être lue. »
Éducateurs spécialisés en formation initiale
« Je retiens qu’il faut donner à voir la personne dont on parle, éviter les commentaires, se demander ce que le lecteur peut comprendre. »
« Je retiens l’importance du premier jet pour mettre ses pensées sur le papier ; cela permet la matérialisation de la pensée. »
« Je dois penser à la structuration de mon écrit car le lecteur attend cohérence et fluidité… Mes écrits sont ils faciles à lire par le destinataire ? »
« Je retiens qu’écrire est un processus, qu’il est important de commencer par un premier jet, que je dois prendre soin d’argumenter ma pensée pour l’adresser au lecteur. »
« J’ai compris comment éviter les jugements de valeur involontaires en me rapprochant de mes propres mots. »
« Je me souviendrai de l’importance de donner des détails vivants pour éviter les généralités qui ne disent rien de la personne. »
« L’importance de pratiquer l’écriture pour qu’elle devienne plus facile, et de se relire pour nettoyer le texte des jugements qu’on fait passer sans même le savoir. »
« J’ai compris la portée de l’écriture, l’importance de se relire avant d’envoyer. »
« J’ai compris qu’il y a plusieurs lectures pour un même texte, que chaque lecteur fait sa propre lecture, et qu’on ne peut pas l’empêcher. »
« J’ai découvert qu’un texte est plus agréable à lire s’il passe par le mode du récit. »
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Article très interessant ! Je le recommanderai a des amis pour amener des discussions …
Au plaisir de continuer a vous lire
Merci Marion de votre signe !