Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations mutuelles,
écrit Michel Leiris.
C’est après Noël. Je trouve ces mots de Leiris sur une carte postale achetée lors d’un autre Noël, peut-être. Oui. Les mots parlent rarement la même langue que les actes.
Écrire. S’adresser.
Pierre Michon dit qu’écrire est le contraire absolu de la parole.
Quand on a que les mots dans le silence d’écrire, écrire devient l’acte.
Écrire est cet appel adressé à l’autre absent.
« J’ai face à l’écriture une tactique contournée, peut-être superstitieuse…
… c’est-à-dire qu’il faut que j’approche l’écriture par des traverses, des biais, les mille ruses de la latéralité ; c’est ce que je fais, m’approcher »
« Ça marche si mon angle d’attaque latéral est juste. Et ça ne marche pas si j’aborde mon sujet frontalement. Je passe mon temps à déplacer le tabouret. Si je me dis bille en tête, bien assis devant la question : “Qu’est-ce que je pense de Rimbaud, qu’ai-je à dire devant cela ?”, rien ne peut en sortir, absolument rien. Mais tout d’un coup, un jour, un matin, j’ai bien déplacé le tabouret, j’ai biaisé la question, et ma première phrase est là. Et quand la première phrase est là, il n’y a plus qu’à tirer le fil, tout continue, tout “marche”. Je peux ajouter que ça marche quand je suis ivre de mon sujet, quand je m’éprends de lui. »
Intense nécessité de dire ; cruelle exigence ; connaissance des abîmes… La création fraie ses chemins entre longues périodes arides et puissantes pulsations de l’écriture.
À la question du miracle que fut pour lui les Vies minuscules, Michon répond :
« Le miracle c’était simplement, à près de 40 ans, de pouvoir danser enfin sur mes deuils. C’était que mon désastre intime se résolve en prouesse, mon incapacité en compétence, ma mélancolie en exultation, bref, toute chose en son contraire. »
Et, pour accompagner ces fêtes dont je souhaite qu’elles soient celles du passage vers un renouveau, je vous confie ces derniers mots :
« Écrire, c’est changer le signe des choses, transformer la douleur passée en jouissance présente, faire de l’art avec la mort. Je ne valorise absolument pas la douleur, je ne suis ni doloriste ni saint-sulpicien. Seule l’écriture, cet après-coup inouï, peut la sublimer en joie, c’est-à-dire lui donner un sens. L’écriture n’est jamais là au moment où les choses se passent, elle vient après, bien après parfois. »