L’atelier d’Anne

Comment transmettre la belle audace qui circula pendant ces trois jours d’écriture en dialogue avec l’œuvre d’Anne Dufourmantelle ?

J’avais proposé d’écrire avec cette œuvre psychanalytique, philosophique et littéraire… Mais comment accompagner l’écriture de textes littéraires à partir d’une voix qui, tantôt pense le monde avec les philosophes, tantôt s’adresse directement, en psychanalyste, à nos désirs si vite cadenassés par les forces de répétition de nos névroses ?

Commencer par chercher la source, le chant de la source, le vivant chant qui viendra irriguer les écritures.

Quelle est cette source ? Elle est amour profond de la vie — la vie libre, les chemins qui s’écartent des ornières creusées par le poids d’héritages trop lourds, les détours qui évitent les impasses où nous conduisent des secrets auxquels nous restons fidèle sans même, parfois, en connaître l’existence — toutes ces servitudes dont Anne Dufourmantelle a montré qu’elles deviennent, dans notre monde actuel, de plus en plus volontaires.

Frédéric Worms, philosophe ami d’Anne Dufourmantelle, lors de la soirée d’hommage qui eut lieu à la Maison de la poésie de Paris, en mars 2018, parlait ainsi de l’œuvre d’Anne : une écriture tissée entre deux paroles. L’une, clinique — née dans la parole et dans l’écoute, nourrie des paroles entendues dans la cure, ces paroles enfouies, fragiles, de l’être humain — et l’autre, parole philosophique de l’écriture — qui protège la première parole de tout ce qui lui fait violence dans le monde.

Comment la vie peut-elle se dire ? Comment peut-elle s’écrire ? Ces deux paroles, leurs échos et leurs différences, “tressent une philosophie de la vie et de la mort, de l’écoute et de la joie, dans un monde contemporain qu’Anne Dufourmantelle a analysé en nommant les problèmes fondamentaux de notre contemporanéité”, disait encore Frédéric Worms.

« C’est la liberté qu’il nous est douloureux de choisir, car elle implique un chemin de vérité (et jusqu’à quel point supporte-t-on la vérité ?) et la perte de repères assurés, elle nous demande de commencer par faire le vide, parfois, pour retrouver ce qui anime notre désir au plus profond. Tel est le risque, peut-être en son essence, être intensément vivant, c’est-à-dire s’exposer à des vraies émotions, des vraies pensées, un vrai amour, et cela ne se fait pas sans traverser fragilités et épreuve d’une certaine solitude, mais pour une amplitude plus grande, plus vive, dans son rapport à la vie et à l’amour », écrit Anne Dufourmantelle dans Éloge du risque.

La source que je cherchais dans les livres d’Anne Dufourmantelle est aussi littéraire car, outre les deux romans qui figuraient avec les livres qui accompagnèrent notre traversée, on trouve, dans ses essais, une écriture incarnée qui ne s’évade jamais dans le ciel des idées sans revenir aux anecdotes sensibles.

Amour de la vie, protection des fragiles paroles humaines par la pensée philosophique, goût pour les formes littéraires… Ainsi avais-je trouvé, cherchant la source qui inspirerait les écritures, l’abri protecteur de la pensée d’Anne Dufourmantelle. Alors j’ai proposé d’écrire la puissance et la douceur, le risque et le rêve, le secret, sans jamais renoncer devant la difficile tâche de délivrer une parole singulière qui ne ploie pas sous les vacarmes du monde. Vos histories de douceur, vos personnages, sont nés du dialogue avec la pensée bienveillante d’Anne, ils étaient vitalisés par ses thèmes.

« Il ne peut y avoir de valeur donnée à l’universel sans un devoir d’attention et de mémoire constant envers le singulier, c’est-à-dire envers ce qui fait trébucher le concept, l’idéal, le juste et le beau, du côté de la fragilité, de l’« humain trop humain », de ce qui n’est ni pensable, ni parfois même représentable. »
Éloge du risque

Écrire avec Anne Dufourmantelle ?
« Avec, autour, entourée, bercée de sa lecture par Claire, envahie par ses mots, les émotions, les passés qui reviennent avec d’autres lumières, d’autres couleurs…
Je lui dois cette immersion dans trois jours d’écriture intenses, la chaleur de nous tous, la beauté des textes, les surprises, la joie d’écrire, d’aller plus loin, de libérer nos élans.
Je lui dois toutes les lectures de ses textes encore à venir et l’irrigation de mon écriture qu’ils permettent, qu’elle offre… Je lui dois de revenir vers cette attention différente au monde, ce pas de côté de la psy, et l’alliance avec la littérature.
Une sensation d’ouverture intérieure à sa lecture, des rêves…
J’aime son humanité, sa bonté, sa tendresse, son grand amour des autres…
Et merci à Claire, passeuse de mots, porteuse et accoucheuse d’écritures. »
Brigitte Ourlin

« La porte était entrebâillée
Par elle, par d’autres

Elle se tient sur le seuil, nous invite à entrer
Il fait doux, clair, universel

Elle nous invite à venir près du feu
Près des feux de nos lignées et des feux en cataracte du monde

Elle nous invite à gommer les marges des pages
À voir toujours plus large et plus fin
À dessiner l’infime de nos oscillations
Et franchir le portillon du jardin de l’autre
À écouter, agir et écrire d’une même curiosité tisserande
À risquer l’avant de soi et oser tout ce qui doit l’être

La porte était entrebâillée
Elle l’a ouverte en grand, s’est replacée sur le seuil
Toute la lumière au tracé de nos chemins neufs. »
Anne Demerlé-Got


« Ce que je lui dois, c’est de comprendre la nécessité du décalage et de la mise en alerte permanente. Ce qui implique de toujours interroger le réel, regarder au-delà et en-dessous, ne pas se laisser abuser par l’évident, le permanent, chercher la faille, le gain de sable, le jamais vu. En un mot, l’individuel. »
Gérard Bertrand

« Trois jours d’écriture avec Anne Dufourmantelle, j’ai été saisie par la douceur dont parle cette femme, philosophe, psychanalyste, romancière, chroniqueuse, artiste… La douceur, cette « passivité active qui peut devenir une force de résistance symbolique prodigieuse…». J’ai aussi été touchée par sa manière convaincante de nous rappeler notre humanité et ce qui la constitue. Son œuvre et sa vie exhortent à une exigence sans faille du côté de la dignité de l’humain, de sa liberté.
La lecture des livres d’Anne Dufourmantelle ne m’avait pas été aisée en dehors des cas cliniques de sa pratique de psychanalyste. Mais les extraits de tous les livres approchés, passés au filtre de la voix de Claire Lecoeur, ont ouvert une compréhension jusque-là restée voilée. Eloge du risque, Puissance de la douceur, Défense du secret, Intelligence du rêve, La sauvagerie maternelle, Se trouver, L’envers du feu, Souviens-toi de ton avenir et d’autres livres encore s’offrent à présent à de nouvelles promenades de lecture au gré de mes questions sur la vie et la mort. Je sais maintenant pouvoir y trouver des échos.
Trois jours durant, la douceur a imprégné nos échanges, a permis que se tisse une enveloppe chaleureusement accueillante à nos mots trébuchants et fragiles… une enveloppe bienfaisante pour panser quelques douleurs… et quelques trous dans le tissu pour respirer ! »
Carmen Strauss

« Lire Anne Dufourmantelle est déjà un vertige. Ecrire en étudiant sa pensée, ses explorations dans le monde de la douceur, du secret, du risque, c’est un grand saut dans la profondeur de l’humain.
Ces jours d’écriture m’ont rappelé les courbes géomorphologiques que nous faisaient dessiner nos professeurs de géographie.

J’ai dressé des coupes de terrain humain. Par quoi sont agis nos personnages de fiction  ? quelles forces les animent ? de quoi sont-ils constitués ? pourquoi l’érosion n’a pas emporté telle couche ? pourquoi tels sédiments donnent toujours les mêmes formes ? Et quelles forces vont venir pousser, affronter, au risque parfois d’effondrer ? Pour redessiner un autre paysage…
Écrire la vie, la vraie, c’est ce que l’on a tenté de faire pendant trois jours… un sacré risque qu’Anne Dufourmantelle et Claire Lecoeur nous ont fait prendre ! Elles ont bien fait.
Merci à Claire et hommage à l’auteur.
FL

« Anne,
Vous ne vieillirez pas.
À peine plus d’un demi-siècle d’une vie bonne.
Vivante, vous l’étiez parmi nous, pendant ces trois jours d’atelier. Nous avons dialogué avec vous et exploré des chemins dans votre œuvre : la douceur, le risque et aussi le secret… et les effets en ce qui me concerne s’en feront sentir encore longtemps.
Jusqu’à quel âge peut-on oser ? Jusqu’à quel âge peut-on risquer ? Jusqu’au dernier souffle. C’est le message que vous nous laissez, Anne Dufourmantelle, le message que je reçois. Merci !
Merci Claire, remarquable médiatrice.
Merci aux membres de cette communauté de lecture et d’écriture de trois jours. »
Mylène Gougou

 

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