La voix écrite

Lui, sa voix, c’est à Lagrasse, au Banquet du livre l’été dernier, que je l’ai rencontrée — la voix de Patrick Autréaux.

Une voix profonde, qui racontait une maison prise dans les forces aveugles d’un cyclone, la menace qui pesait sur un vieil orme, ami du narrateur, qui pliait, derrière la fenêtre, sous les assauts de la tempête. Une histoire de mort et de vie, de désir d’écrire – du silence où l’on quête la voix qui pourrait devenir sienne, regardant par la fenêtre l’ami – le vieil orme – menacé dans le texte, menacé comme le narrateur qui lui, en avait réchappé d’une maladie qui l’avait promis à la mort. Un condamné rescapé, donc, nous lisait un livre et la voix dans ce livre touchait un lieu où les mots s’aventurent rarement.

Le livre s’appelait Le grand vivant, Patrick Autréaux nous l’a lu entièrement, jetant feuille après feuille sur le sol ; il y avait du vent, je crois, contre les bâches de la grande tente qui en avait entendu d’autres, des voix, pendant la semaine du Banquet – ou était-ce dans le texte ?

Ce soir-là j’ai parlé avec Patrick Autréaux de la maladie des ormes et de la mort de mon père, qui lui aussi aimait les arbres — j’ai reçu cette écoute que seuls ceux qui reviennent de très loin savent porter aux paroles qu’on leur confie. Depuis, de Patrick Autréaux, j’aurai bientôt tout lu.

« Une nouvelle vie réclamait de naître. La nouvelle vie, c’était de découvrir la voix qui était en moi. Ce que je devinais ne pouvoir laisser advenir qu’en écrivant. […] Écrire, je le sus très tôt, était un impératif. Il avait suffi de constater que ce qui m’entourait pouvait s’écrouler, ma famille se décomposer sans que je puisse rien faire contre, que l’enfance était bien terminée, qu’il ne restait pas un lieu où revenir et que je devais construire ma maison, et c’était sorti de mon corps : des phrases, des poèmes, des mots. Écrire pour devenir sa propre demeure. »

    Entre désir de soigner et projet d’écrire — ou serait-ce projet de soigner et désir d’écrire ? –, ce nouveau livre fait entendre la naissance de la voix qui m’avait bouleversée à Lagrasse.


« Je savais qu’écrire ne conduisait à aucun paradis mais seulement à mieux me comprendre, à mieux comprendre les autres – leur humanité –, et surtout à jouir encore et encore de cette joie à être plongé dans la matière verbale, à deviner un texte se tramer, se défaire, se recomposer, à sentir sa cohérence poindre, à le voir flotter, fragile et rassurant, humble et provisoire comme un esquif après un naufrage. […] Je découvrais le pouvoir de ma voix et cela me rendait terriblement humble, et reconnaissant. »

Être humble et reconnaissant, c’est je crois ce que nous transmet la voix dans ce livre — dans ses livres. Cette voix qu’il a cherchée longtemps, jusqu’à comprendre que : « Pour écrire il faut avoir pulvérisé cette forme du moi qui se prétend conscience, voudrait être aux commandes de toute manœuvre et ne fait que les entraver. »

    Et le livre avance à nous parler des liens entre écrire et lire, de ces livres qui nous parlent comme ceux d’Autréaux le font, de l’exigence qu’on peut avoir pour la nourriture qu’on trouve dans les livres.


« Lorsque je savais ne plus pouvoir trouver de calme en écrivant, c’est vers les autres que je me tournais. Et vraiment certains livres étaient des havres. […] Attendre un tel soutien avait une inévitable conséquence : je supportais de plus en plus mal les chefs-d’œuvre jetables, parasites, les mirages. […] Ceux que je me mis à appeler les profanateurs. On ne répétera jamais assez la nocivité des mauvaises nourritures. Elles affament, rendent boulimiques et ne nous laissent que des graisses tueuses. Un seul de ces livres vous bouffissait tout en vous laissant sur votre faim. Une faim inquiète et très haute. Oui, j’avais faim. Faim de vérité. Faim de présence. Les livres contre lesquels je m’agaçais n’étaient que des sosies. Si j’avais toujours été à l’affût et parfois trompé, le rescapé en moi savait mieux discerner les voix secrètes. Je guettais cette présence, ces intonations qui font d’un livre un être vivant, palpitant – un ami ou un adversaire. Ce vrai que je cherche en tout, livres et hommes, cette amitié, étaient la condition même de la confiance que je pouvais avoir en ma vie même, et aussi une source de gratitude immense. »

    Et de livre en livre passe le désir d’écrire, qui arrive jusqu’à moi et se transforme en cet article : pour le désir de vous passer à mon tour la rencontre avec cette voix pour laquelle j’éprouve une gratitude immense.


« Les vrais livres – tout du moins ceux qui portaient en eux du vrai – me donnaient envie d’écrire, ils levaient les entraves et tristesses du moment, cette grisaille qui bloque l’élan, ils réveillaient le désir ou me rendaient tout simplement à moi-même. »

2 réflexions au sujet de « La voix écrite »

  1. Merci Claire de nous faire connaître et partager les mots de cet auteur.
    C’est fort, émouvant à un tel point qu’on a envie de reprendre ses mots pour soi.
    Chantal

    • Merci Chantal !
      Oui, c’est ce qui est bon avec les livres, quand trouve ceux qui deviennent des compagnons : c’est bien à nous qu’ils s’adressent. Heureuse d’avoir permis cette rencontre entre lui et vous.
      Claire

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