Écrire l’étranger avec Philippe Rahmy

« On écrit pour faire taire la bête en soi. »

C’est la voix de Philippe Rahmy lorsqu’il tente de saisir le choc de sa rencontre avec Shanghai, dans Béton armé.

    « Je voudrais écrire la ville telle que la vivent ceux qui la bâtissent. Aboutir à quelque chose qui ressemble à l’idée du travail bien fait, une espèce de point fixe. Un emblème dont on pourrait dire qu’il est beau et surtout qu’il permet à d’autres de vivre mieux, comme un pont, par exemple. »

Au sujet de Philippe Rahmy, on lira François Bon sur Tiers livre, ou les amis de remue.net. Ou encore la fiche de lecture de Benoit Vincent.

Mais lisez-le plutôt.

    « Combien de fois mourir de son vivant, quelle place faire à la mort en soi pour écrire ? Quelque chose se termine. Voilà ce qu’il m’est possible de dire sans trahir ma méditation devant le ville ni le sentiment diffus d’une autre réalité tout aussi présente à cet instant que je ne peux qualifier qu’en termes d’oubli et d’enfouissement. Quelque chose se termine. Cette chose, je veux essayer de la raconter, sachant que Shanghai n’aura de cesse de me harceler parce qu’elle est belle et capricieuse, et que la réalité chinoise voudra me faire taire en me faisant écrire un texte qui la concernera, elle exclusivement. Elle, et ses étés morcelés par la chaleur, brouillés de gyrophares, et ses crissements de pneus, et son odeur de gomme cramée, et sa foule corvéable, un ensemble qui bouge et qui transpire devant les cinémas, un ensemble à peine vêtu à la terrasse des cafés, dans les vitrines, prêt à être consommé, corps et marchandises, elle, la Chine dans l’œil des hommes, dans le miroir des femmes, elle et son soleil aveugle, et son peuple aveugle, et ses lois aveugles, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, dans la brûlure des lampes, des chutes, des coups et des insultes, Shanghai en petite robe courte, aux longues jambes nues, aux mains gantées fumant une cigarette à l’angle de la rue. »

    « Je retourne à ma terrasse. Écrire. M’en tenir aux faits. Ne rien inventer, ne rien supposer. La terrasse est bondée. Je vais au parc. Comment circonscrire une ville dont le rayon excède ce que l’esprit peut concevoir ?
    Shanghai. Le bruit est assourdissant. Les gens crient pour se dire bonjour. L’étendue, plantée de fanions et de cerfs-volants, ressemble à la chevelure d’une charmeuse de serpents. Je sors un livre. Un vieux, assis sur le même banc, crache par terre. Un corbeau vient boire son crachat. Shanghai. Personne ne parle. Exister suffit.

    Voyager à travers le langage comme à travers le paysage. Être, à parts égales, le monde et les mots. Shanghai est le texte que je porte, autant que l’espoir de pouvoir l’écrire. »

Un appétit de voir et de dire qui accompagnera celles et ceux qui aimeraient écrire le voyage.

Récit du voyage que fit Philippe Rahmy à l’invitation de l’Association des écrivains de Shanghai, Béton armé mêle la fraîcheur des premières fois à sa longue fréquentation des mots.

Chagall new york

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