S’émerveiller

S’émerveiller de ce qui se trouve là, à portée du regard

« Parfois le silence règne, nous sommes paisibles et concentrés, la lumière est belle et notre regard vigilant : alors l’émerveillement nous saisit. D’où vient ce sentiment fugitif ? […] Soudain on vit pleinement, ici et maintenant, dans le pur présent. »

Belinda Cannonne écrit, dans S’émerveiller : « Je m’intéresse à cet état parce qu’il relève d’une sagesse — d’un savoir-vivre à conquérir contre l’agitation de nos jours. »

Un appel à la vigilance, à cet état de réceptivité qui demande de prendre le temps, de s’arrêter, de laisser venir le monde à soi — de cultiver une présence à l’instant.

Tout à coup on voit autrement. « S’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des événements. »

On peut trouver l’idée ridicule, naïve… Pourtant le livre a été écrit pour résister à l’enténèbrement du monde. « Je n’ai jamais cessé de croire que le monde reposait sur un équilibre, fragile, menacé, de forces néfastes et de forces bénéfiques, qu’il nous appartenait de maintenir, et que viser le bonheur, un bonheur conscient de l’ombre, était possible et sage. »

S’émerveiller des jeux de la lumière entre les feuilles d’un jeune frêne ? Du chant d’un rossignol ? De la bascule qui entraîne les ténèbres vers le retour progressif de la lumière au cœur de l’hiver ? Des riverains amoureux des fleurs qui, à Paris dans le 19°, entourent les pieds des arbres de leur quartier d’un fouillis de plantes et affichent fièrement le mot « jardin » sur des pancartes qui prient les passants de ne pas y jeter leurs mégots ? S’émerveiller du saut dans l’inconnu de ce jeune homme qui, aide soignant dans une institution sociale du Nord, après s’être présenté d’un sonore « l’écriture et moi ça fait trois ! », le premier matin d’une formation aux écritures de l’accompagnement, finit par s’y jeter, dans l’écriture, porté par la bienveillance du groupe et malgré l’agitation qui le traversait, incessante, électrisant jusqu’à ses jambes sous la table — ces jambes qui le portent tous les jours vers tant de corps malades qu’il faut déplacer, soigner, laver ?

Ce qui contrarie l’émerveillement, dit Belinda Cannone, c’est la familiarité — on a trop vu les choses, tant vu de choses… elles ne nous émerveillent plus. « Nous échangeons peu à peu notre capacité d’émerveillement contre la capacité de comprendre, d’affronter, d’essayer de maîtriser le monde dans lequel nous avançons. En perdant de vue sa beauté, son mystère, sa magie. »

« Rien n’est plus simple que de mesurer l’incroyable capacité d’émerveillement des humains. Il suffit d’observer un bébé âgé de quelques mois : tout le fascine, tout le captive. Tout l’enthousiasme. Son corps entier le dit, s’agite, il crie de joie ou de surprise à chaque découverte ou redécouverte. Il veut toucher, sentir, saisir, goûter l’insecte et la fleur, la barbe de son père et le jouet de sa sœur, le tissu des vêtements… Une trentaine d’années plus tard, le changement est saisissant : revêtu d’un costume-cravate ou d’un tailleur de circonstance, l’ex-bébé prend l’avion Strasbourg-Paris, tôt le matin, pour participer à une réunion importante. L’hôtesse de l’air lui sourit elle a d’extraordinaires yeux vert d’eau qu’il ne remarque pas. L’avion passe au-dessus des Vosges pendant que le jour se lève. Depuis le hublot, l’aube sur les montagnes est d’une beauté à couper le souffle. Personne ne la regarde. À part la femme du siège 4A, pourtant habituée au trajet, mais que le spectacle du lever du jour vu d’en haut bouleverse, chaque fois : fascinée, captivée. Émerveillée… »

S’émerveiller ? « Il s’agirait de laisser les choses s’éclairer plutôt que vouloir les expliquer […] ; du choix délibéré, conscient, libre, de refuser l’aigreur, la dureté et la peur pour aborder le monde avec ouverture », dit Belinda Cannone lorsqu’elle dialogue avec la revue Psychologies, dans le cadre du dossier Ils savent encore s’émerveiller.

Belinda Cannone nous convie à nous émerveiller devant les choses simples, les choses humbles, devant le monde modeste. « La plupart du temps on est pris dans le désir, et le désir c’est le désir de faire, d’agir. Sans lenteur, il n’y a pas d’émerveillement. »

« L’amoureuse concentration
Je regarde la haie, la haie que je connais si bien et qui n’a rien de remarquable […], mais le soleil couchant l’éclaire, et soudain je m’émerveille car je la vois. Mon sentiment n’est pas lié à sa nature remarquable ou surprenante mais à ma capacité de la voir vraiment. C’est-à-dire à la voir pour elle-même, dans la force de son existence, dans sa présence. S’émerveiller, c’est d’abord saisir la présence des choses et des êtres. »

« Se tenir dans un état de présence extrême au monde qui le fait advenir dans son éclat. »

Belinda Cannone était l’amie d’Anne Dufourmantelle. Lisant ses ouvrages, Le don du passeur et L’écriture du désir notamment, je retrouve l’acuité profonde et joyeuse qu’Anne Dufourmantelle portait sur le désir des femmes et des hommes, et sur notre monde.

Avec ces auteures, je vous souhaite de trouver et cultiver vos propres sources d’émerveillement.

 

4 réflexions au sujet de « S’émerveiller »

  1. Meilleurs voeux Claire.
    « Tu seras la mère » que vous avez corrigé et commenté vient de sortir. Merci de votre aide.
    Au plaisir de se revoir pour de nouvelles écritures.
    Christine S Moiroux

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