Nous n’avons que les mots

« Il y a seulement ce qui est en chemin. »
Thierry Metz

Nous n’avons que les mots, nous, humains, pour construire des digues durables contre les folies du monde.

« Agis dans ton lieu, pense avec le monde »
Édouard Glissant.

Vies, mondes, voix… ce qui nous traverse et nous anime, ce qui fait de nous des êtres aimants, pensants, donnons-le dans les mots.

13 novembre 2015

Voilà.
C’est le lendemain de l’horreur — j’écoute, hébétée, le travail de parole qui se tisse autour de la plaie ouverte dans notre humanité, dans notre capacité à parler, à penser.

Je suis de ceux qui prennent appui sur la mémoire pour lutter contre la répétition d’une folie aveugle et mortifère. Alors je vais chercher ce livre merveilleux paru en avril 2015, où Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet suturent ensemble une autre plaie venue déchirer — il y a si peu de temps — notre raison : Prendre dates, aux éditions Verdier.

« Il y a beau temps que je me demandais ce que ça pouvait bien faire au corps, au cœur et à l’esprit de vivre une période où d’une année à l’autre tous les signaux passent au rouge : est-ce qu’on s’en aperçoit, est-ce qu’on en prend la mesure, est-ce qu’on y pense, est-ce qu’on en rêve ? »

Ces actes, tombés cette nuit dans nos corps tout comme en janvier dernier : « c’est l’irrémissible faillite du monde qui pourtant, en principe, depuis Auschwitz, devait tâcher de ne plus trop faillir, et qui n’a jamais cessé de le faire. »

« Comment oublier l’état où nous fûmes, l’escorte des stupéfactions qui, d’un coup, plia nos âmes ? On se regardait incrédules, effrayés, immensément tristes. Ce sont des deuils ou des peines privés qui d’ordinaire font cela, ce pli, mais lorsqu’on est des millions à le ressentir ainsi, il n’y a pas à discuter, on sait d’instinct que c’est cela l’histoire. Ça a eu lieu. Et ce lieu est ici, juste là, si près de nous. (…) Ensuite vient le moment réellement dangereux : lorsque tout cela devient supportable. On ne choisit pas non plus ce moment. Un matin, il faut bien se rendre à l’évidence : on est passé à autre chose, de l’autre côté du pli. C’est généralement là que commence la catastrophe, qui est continuation du pire.
Il ne vaudrait mieux pas. Il vaudrait mieux prendre date. Ou disons plutôt : prendre dates. Car il y en eut plusieurs, et mieux vaut commencer par patiemment les circonscrire. On n’écrit pas pour autre chose : nommer et dater, cerner le temps, ralentir l’oubli. Tenter d’être juste, n’est-ce pas ce que requiert l’aujourd’hui ? (…) réapprendre à poser une voix sur les choses. (…) commençons, pour s’ôter du crâne cet engourdissement du désastre.
(…) Nous sommes encore dans cette suspension du temps, ne sachant pas très bien ce qui est mort en nous et ce qui a survécu dans le pli. Maintenant, un peu de courage, prendre dates c’est aussi entrer dans l’obscurité de cette pièce sanglante et y mettre de l’ordre. Il faut prendre soin de ceux qui restent et enterrer les morts. On n’écrit pas autre chose. Des tombeaux. »

Dans la stupéfaction de la pensée qui accompagne le désastre, lire, relire, écrire… Retrouver le chemin des mots, le chemin du sens, de la vie ôtée cette nuit de façon barbare à — combien disent-ils ? 129 morts ? 352 blessés ?

Attaquer l’impensable de ces meurtres qui s’abat par tonnes dans le corps, l’attaquer avec les mots de Boucheron et de Riboulet qui, après les attentats de janvier, détaillaient l’enchaînement des faits, le choc dans les corps, l’anéantissement de la pensée. Mesurer l’écart entre les actes de janvier et ceux de novembre : non plus venger dans un bain de sang l’affront commis contre le Prophète par des caricaturistes provoquants, non ; mais punir le plaisir, et notamment celui des jeunes — le jeunesse libre, riant dans la cité –, punir de mort le plaisir d’être ensemble.

« Comment disait-on, avant-hier, sidération ? Aujourd’hui je dirais plutôt : stupéfaction. Car ce sentiment mêlé de terreur et de soumission à la brutalité des choses, les anciens le désignaient du verbe verreor , qui dit la crainte et la révérence. »

Cette nuit, nous avons à nouveau rencontré « l’escorte des stupéfactions. » Comme en janvier, les image atroces défilent en boucle ce lendemain des massacres. Avec les images, les paroles s’amoncèlent — guerre, scènes de guerre, traumatisme de guerre, guerre civile. Chacun fait son travail — de journaliste, de policier, d’infirmier, de psychologue… Je fais le mien — de passeuse d’écriture et de livres.

« Ce qu’on a fait ici, c’est occuper un peu, faute de mieux, cet entretemps incertain qui s’étire entre la stupéfaction de l’événement et le recul de l’histoire. (…) L’occuper un peu, en y jetant des mots, en l’inscrivant quelque part, des noms et des dates, rien de plus. On sait faire, c’est vieux comme les tombeaux : s’occuper des morts et calmer les vivants. Pour le reste, ça commence. Tout est à refaire. »

Ce 14 novembre 2015 nous ne connaissons encore que les chiffres. Nos cœurs saignent de ces sacrifiés d’un monde malade. Comme le disent Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet : « Pour le reste, ça commence. Tout est à refaire. »

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Soigner, l’écrire

À Jane, à Estelle

« — Alors, tu écris le réel ?

— Oui.
— Tu écris ce qui vient de se passer ?
— Oui. J’écris juste après. Enfin, quelque temps après. (…)
— Tu écris au fur et à mesure ?
— Oui.
— Donc, tu ne sais pas ce qui va arriver ?
— Non. (…) Je ne vois pas la fin.
— La réalité ne s’arrête pas…
— Non…
— C’est un présent infini… »

Marie Dorsan écrit Le présent infini s’arrête et nous plonge dans l’invraisemblable quotidien d’une équipe soignante : « Je travaille dans un appartement thérapeutique, rattaché à un hôpital psychiatrique. On accueille des adolescents. Très malades. Souvent, personne n’en veut. Qui, en plus des troubles psychiatriques, ont des troubles de l’attachement, des pathologies du lien. Alors ça remue ! Ça remue les soignants. J’écris les souffrances de ces jeunes. La difficulté de les soigner, de les accompagner ou tout simplement de rester là, avec eux. Je veux raconter ce que c’est, ce travail, leur vie. Je veux… Dire. Décrire. Montrer. Tout. Le bon et le mauvais. Je voudrais que l’on pense d’avantage à eux. »

Une écriture au plus vif de la présence d’adolescents déchirés, agressifs, violents, qui fait fuser comme un signal de détresse la question Comment tiennent-ils ?

« J’ai craché sur un patient après des mois de tension dans le service, je me suis sentie très coupable » dit Mary Dorsan ; « j’ai été au commissariat, là ils m’ont dit que les patients devraient être enfermés en hôpital psychiatrique — tout s’effondrait. »

Tout. La foi qu’il faut pour tenir la posture soignante au jour le jour face à la violence, à la répétition, aux menaces, aux déclarations d’amour fou. La foi et la nécessité de comprendre, derrière la violence des actes, la fragilité infinie de ces jeunes. Tout s’effondrait, alors : écrire.

« Je voulais m’exposer. J’ai voulu exposer tout ce qu’il y avait à l’intérieur de ma tête. On n’ose pas raconter des histoires comme ça. »

Raconter ces histoires comme elle se vivent. Elles nous meurtrissent tant l’écriture est proche des blessures qui hantent les adolescents et, par ricochet ou imprégnation, ceux qui les soignent. Comment tiennent-ils ? Comment tiennent ceux que j’accompagne dans leurs épineuses écritures au sujet d’autrui, ceux-là qui accueillent, soignent, tentent d’éduquer des enfants ou des adolescents ou des adultes que leur souffrance met hors jeu ?

Marie Dorsan écrit parce qu’elle a craché sur un adolescent qui poussait l’équipe au bout de ce qui est humainement supportable. Elle écrit pour comprendre. Pour ne pas rentrer dans le rang de ceux qui disent qu’il faudrait les enfermer (les supprimer ?) ces adolescents qui ne trouvent pas de place, pas de paix. Marie Dorsan observe, s’observe, l’écrit.

Qu’est-ce que soigner des adolescents psychotiques dans un appartement thérapeutique ? C’est être là, être avec, écrivaient d’autres infirmiers traversés par d’autres folies — lorsque je les accompagnais à élaborer leur posture de soignants.

Observer, et l’écrire. Écrire est la voie que j’ouvre à ces personnes qui souvent ne connaissent pas la valeur de leur travail. Je les invite à dire leur réel en l’écrivant. Ainsi l’écriture fait-elle son œuvre — elle fait sens, conduit à reconnaître ce qui nous habite en-deçà de la conscience.

La semaine dernière, une jeune assistante sociale disait l’importance que notre travail de formation avait pris à ses yeux. « C’est votre manière de mettre notre travail en valeur, ça nous permet de le voir autrement. »
— Peut-être avez-vous ce sentiment parce que ce qui m’intéresse, quand j’écoute vos textes, c’est d’entendre votre intelligence au travail ? Cette intelligence des situations, des relations, qui vous aide à comprendre l’autre en supportant d’être confrontés à des difficultés de vivre que beaucoup ne pourraient simplement pas imaginer.

Lisant Marie Dorsan j’ai pensé à Georges Perec. « J’écris : j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps près de leur corps ; j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture. » (W ou le souvenir d’enfance)

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Nuit blanche 2014, Jörg Müller, Noustube

Écriture et désir

« C’est pour survivre à la violence du monde que j’écris. Pour la réfléchir, dans les deux sens du terme », écrit Belinda Cannone dans Le don du passeur…

… un livre bouleversant. Une fille y dit son amour pour son père. Écrivant, elle restaure la dignité de l’homme qui n’a pas su vivre comme le social l’attend. « J’ai l’impression d’avoir tressé deux brins, lui et moi, soudés par l’amour et par ma reconnaissance. Car je mesure à quel point il a été ma chance. » Sa chance, ce père dont elle ne masque ni la fragilité, ni l’inaptitude à vivre heureux ? « … on est héritier, toujours, des désirs et des peurs, du meilleur et du pire, et puis l’on passe sa vie à faire le tri – garder la force et conjurer les freins, déjouer les loyautés paralysantes – pour atteindre ce qui nous permet de ne pas démériter de l’aventure humaine : la capacité de réinvention permanente. »

Écrire, donc, pour survivre à la violence du monde.

Aujourd’hui, c’est d’un autre ouvrage de Belinda Cannone que je viens vous parler, espérant — après avoir reçu tant de vif désir de cette lecture –, vous en passer un peu.
L’écriture du désir est un récit d’amour — de l’écriture, de la lecture, de la littérature : « le désir de connaître que les romans manifestent, et qui nourrit la lecture. Ce qui compose l’étrange et sinueux tracé de la littérature et de notre existence. »

Je suis faite des livres que j’ai lus. Je tiens debout grâce aux textes que j’ai écrits. Tout ça palpite et s’accroît lorsque j’ouvre un livre qui me fait signe — l’insatiable curiosité pour la monde, la vie, être femme / homme désirant dans le monde aujourd’hui.

« L’expérience de la lecture, comme celle de l’écriture, est celle d’une rencontre vive. Écrivant, je m’abouche au monde, je l’étreins, je me laisse étreindre, je chante. Lisant, je rencontre une pensée, une vision (…), j’ai l’illusion fructueuse de présences – les personnages. De cette rencontre naissent connaissance, plaisir et émotion. »

Belinda Cannone a souvent écrit autour du désir. Du désir et de ce qui l’empêche — les freins, ce qui nous confine dans la recherche du même et nous retient d’inventer, d’être vivants. Le désir…

« Nous émerveiller de notre présence au monde, du désir qui nous meut et nous change et nous fait chanter… »

« Aujourd’hui, toujours, le roman nous enseigne à vivre.
Ainsi je découvre le monde, le roman me le fait connaître car il m’enseigne ce qu’est y être sujet et aucune expérience réelle, fût-elle riche et pleine et comblée, ou aventureuse et surprenante, aucune expérience, parce qu’elle est nécessairement limitée, ne peut donner à éprouver et à comprendre le millième de ce que la lecture nous apprend. »

« Le roman est « une région du monde à part entière ». La visiter (lire) nous fait vivre une expérience. Par ce mot qui désigne l’implication de l’être dans un endroit de l’univers à un moment donné, implication telle qu’il en éprouve des émotions et qu’il en sort enrichi, agrandi d’un savoir, d’une aptitude, d’une connaissance, je distingue la littérature de la philosophie. (…) En lisant Proust, j’apprends cent figures de l’amour, du désir ou de la jalousie que je ne vivrai jamais. Proust ne m’indique pas comment je devrais agir. Il décrit des situations. La connaissance que m’apportent ces situations me permet de traverser ma propre existence avec les yeux mieux ouverts. »

Les yeux mieux ouverts… il s’agit bien là de renaissance et de désir. De cette soif de connaître et de comprendre que je vois croître dans les ateliers que je conduis, une fois qu’écrire a montré combien l’usage régulier de la langue peut aider à questionner, chercher, construire… Alors se trouve, dans l’écriture, ce qui fait ma joie dans la rencontre des livres : un auteur s’en remet au langage pour répondre à une question essentielle, trouver une clé.

« seule l’intuition préexiste à l’acte d’écrire. Les mots sont l’idée. Sans mots, pas d’idée. »

J’ai ouvert deux ateliers depuis l’été. L’un avec des auteurs confirmés, l’autre avec des personnes qui se sont engagées dans un chantier au long cours. Chaque fois, la sensation du désir comme d’un souffle dans les voiles de l’atelier — grâce au soutien du groupe, à la présence des lecteurs bienveillants et avertis.

« Allons travailler. Car face au doute se dresse le grand désir qui entraîne la coque légère dans son flux puissant et qui dit : Va ! Tu passes entre les astres, et même si ton passage ne laisse pas de trace, ou à peine un souffle léger, une brume, une note impondérable, que ta danse soit joyeuse, flamboyante, et belle. »

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Utagava Kunisada II, Dit du Genji, ch 9
Fondation Van Gogh, Arles

Stations (entre les lignes)

9 septembre 18 heures, ligne 13 direction le Sud, premier jour d’un atelier en soirée dans le 14°…

… et première fois dans le métro aux heures de pointe depuis longtemps.

J’ai dans la tête des tas de phrases d’auteurs comme chaque fois avant d’ouvrir un atelier. Aujourd’hui il y a cette phrases de Peter Handke qui, dans Le poids du Monde raconte qu’il s’exerce à réagir par la langue à tout ce qu’il perçoit. Il s’exerce au reportage immédiat d’impressions ressenties à mi-chemin entre l’âme et le corps.

Moi aussi je m’exerce, à mi-chemin entre mon âme habitée de littérature et mon corps compressé par la foule, debout dans cet espace instable entre les wagons à côté d’un type en tee-shirt et caleçon large en tissu noir brillant. Le type porte des tennis dernier cri (enfin, pour moi), il a accroché ses Rayban dans le V de son tee-shirt de marque et s’est accroché à la poignée où nous nous tenons en grappe en essayant de ne pas nous faire coincer par les glissements des plaques métalliques qui déplacent continument le sol de cet entre deux wagons. De l’autre main, le type tient un livre de poche, épais, et il lit. J’ai oublié de dire la peau foncée et les cheveux rasés sous la casquette, la cinquantaine. Non, je n’ai pas vu le titre du gros livre de poche que cet homme lit.

Cet homme ne le sait pas mais le plaisir de voir ce livre dans sa main me pousse, au retour de l’atelier, à sortir le livre de Jane Sautière des la pile des livres qui m’ont tenu compagnie pendant l’été : Stations (entre les lignes) aux Éditions Verticales, 2015.

Au début, le livre de Jane avait fait remonter cette phrase (de… aidez-moi : Perec ?) : « On pourrait dire toute une vie en racontant les portes qu’on a ouvertes. »

    • « Gare de Francouville
    • (…) J’avais six ans lorsque nous sommes revenus en France, et je suis émerveillée d’avoir un jardin, un cellier qui sent le papier journal humide et l’escargot, où j’héberge un lapin ; émerveillée d’aller chercher l’eau à la source de la ville avec une dame-jeanne, de me laver dans un gros tub en zinc en semaine, de fréquenter les bains-douches municipaux le dimanche et, surtout, de voir passer les trains au raz du jardin. Je faisais des signes au conducteur et il me répondait toujours.
      Mon grand-père, que je n’ai pas connu, était cheminot. J’ai souvent entendu parler de son engagement syndical jusqu’au-boutiste (il était toujours dans les derniers à terminer une grève, voire le dernier), de son alcoolisme qui rencontrait la férocité de ma grand-mère et provoquait les violences qui ont précipité, outre le manque d’argent, le départ du foyer de leurs deux enfants, mon père à quatorze ans comme mousse et ma tante, mariée tôt à un homme bien plus âgé qu’elle. »

    Dire toute une vie en racontant non pas les portes ouvertes mais par les lieux qu’on a habités, ces stations sur le chemin d’une vie — un peu comme les vêtements éveillaient, dans Dressing, la mémoire des événements qui leur étaient liés.

      « Métro
      Changement à Stalingrad vers la ligne 5 pour rejoindre la gare du Nord. Le couloir de la correspondance est bondé, ça avance quand même vite. Foule du matin, pressée, coagulée et pourtant fluide, on avance au pas de charge. Le moindre accroc et ralentissement et ce sera la collision. (…) Ascension vers le RER bondé, odeurs du matin, mélange d’eau de toilette et de vêtements sales. Je me propose de lapider l’inventeur de ce parfum à la noix de coco et je rattrape mon estomac avec les dents. Je détourne les yeux de la calvitie spongieuse et grasse sur laquelle j’ai le nez. Pourquoi je ne m’habitue pas ? »

    Non pas simple récit de vie mais réflexion sur soi – le monde – la vie comme elle va, comme elle court — d’une station l’autre, d’une tranche la suivante — et toujours la gravité magnifique des phrases de Jane creusant profondément chacun des sillons ouverts par l’écriture.

      « Gare de Courbevoie, Montparnasse-Bienvenüe, Vavin
      (…) J’ai acquis, dans cette épouvante de l’enfermement, un métier : je suis devenue éducatrice pénitentiaire (…) et j’ai, rétrospectivement, plus d’admiration que d’étonnement pour la très jeune femme qui choisit de s’empoigner avec ses ombres plutôt que de les laisser incuber. Il y avait, dans la recherche d’une issue propre aux détenus, quelque chose qui me paraissait à ma portée, tandis que la liberté était inaccessible, trop grandiose, trop pure, trop belle finalement pour guérir des misères de pierres tombales. »

    Aviez-vous lu Fragmentation d’un lieu commun ? Si un jour vous avez suivi avec moi une formation sur comment dire le réel de l’autre dans les métiers de la relation, alors vous m’aurez entendu lire des fragments de ce livre écrit sur le fil de la nécessité la plus exigeante — quand l’écriture doit redonner à la vie ce que le réel avait pris au vivant.

      Je me souviens de cette cellule, d’où pendait toujours une grande serviette de couleur (« tu sauras où je suis quand tu passeras »). Les proches des détenus hurlaient depuis la plate-forme de la gare quelques phrases, désignées comme « parloir sauvage » par l’administration, et cette sauvagerie avait le goût irremplaçable de la mûre acide du roncier. Je l’avais vue, elle, la jeune amoureuse, la « Elle » archétypale, toute pâle, accrochée des deux mains à la balustrade, sur la plate-forme de l’escalator où je suis maintenant, pour héler son homme de toutes ses forces, comme le font les autres. Et elle est restée là, navrée, on ne l’entendait pas, le petit filet de voix de ce rossignol que le bruit de la ville écrasait. »

    Ainsi va ce nouveau livre de Jane Sautière porté, comme Fragmentation d’un lieu commun, par la nécessité de dire un réel écrasant et, l’empoignant par l’écriture de le mettre à distance.

      « On aimerait se distinguer, avoir pour les autres des sentiments, d’ailleurs on en a. Ce matin ça sent le sûr, une odeur de corps confit au lit, quelque chose de fané et de moite. En face, une fille jeune, jean et grosses écharpe autour du cou, je la remarque parce que me cinglent les fuites de ses écouteurs. Elle a le front étroit de l’animal de troupeau. Mais ce n’est pas elle qui pue. Sans doute nous tous, adjoints les uns aux autres, suants d’être coagulés. Souvent cette envie, là dans ce piétinement, dans ce collage obligé de taper dans le tas, avec rage. On ne peut pas s’aimer, on est trop près. »

    Alors viennent se glisser parmi les autres quelques stations plus joyeuses comme la découverte du Tram de Gentilly jusqu’à la porte de la Villette :

      « Le plaisir de rouler sur les boulevards extérieurs, paysage particulier. Même la nuit, il y a à voir. Cette petite boutique, épicerie, fruits et légumes exagérément colorés dans l’obscurité, les cases lumineuses des fenêtres des logements en nombre, les gens sont chez eux, nous dans notre bel aquarium, éclairé lui aussi (…) une traversée de l’ordinaire, l’enfilage de la rémanence des scènes quotidiennes, ce que la traversée rend saillant et qui, sinon, ne serait qu’à peine perceptible. Le terrain de stade éclairé où des jeunes jouent, l’érable frêle et gracieux aperçu dans le square de la Butte du Chapeau-Rouge, la laverie libre-service dans sa lumière blanche, la flèche lumineuse qui désigne la boulangerie (…) »

    Avec, toujours en ligne de fond, la pensée de ce monde en marche et de soi parmi les autres en mouvement vers on ne sait où, mais écrivant, mais vivant.

      « Mon père, déjà âgé, s’arrêtait devant toutes les palissades de chantier, tous les travaux, il faisait même l’effort d’aller voir comment évoluaient les grands travaux, ceux qui vont marquer un changement dans la vie des habitants et un progrès, pensait-il. Je fais pareil maintenant. La construction du tramway va de la porte de la Chapelle jusqu’à celle de Vincennes en passant juste devant chez moi a été une succession de moments d’une curiosité inépuisable. Une attente fébrile. Puis la joie d’utiliser le fruit de cette attente, comme une rétribution à la masse de travail. Il faut vieillir pour s’émouvoir de cela, pour noter l’architecture des efforts, voir comment, alors que l’informe et la boue s’étaient installés, d’un coup, une étape se franchit, une trajectoire se dessine. Accompagner cela par la conscience claire qu’il s’agit de vivre dans son temps et qu’il est compté. »

    sautière

Lire c’est vivre plus

Le voyez-vous, le petit livre à gauche au-dessus de la pile de ceux qui m’ont tenu compagnie pendant l’été ?

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La lecture nous mène sur le chemin de la vie et permet chaque jour de vivre autrement, de vivre plus, lit-on sur la quatrième de couverture de Lire c’est vivre plus, qui rassemble les contributions de David Collin, Christian Garcin, Françoise Gaudry, Alberto Manguel, Claude Margat, Lambert Schlechter, Catherine Ternaux, sous la direction de Claude Chambard. Editions l’Escampette, juin 2015. (Vous voyez son prix sur la photo ? 2 € !)

J’ouvre pour vous quelques pages de ce petit livre qu’il faut de toute urgence faire passer à vos amis lecteurs – un ouvrage à plusieurs voix, entre les auteurs écrivant dans le livre et les auteurs qu’ils citent, comme ici :

    « Privé de lecture, je serais réduit à n’être que ce que je suis. »
    JB Pontalis dans “L’Enfant des limbes”, cité par François Gaudry.

… et les auteurs donnant en partage leur passion pour le livre et la lecture.

    « Quelques livres ont suffisamment marqué ma vie et influencé son parcours pour que je pense à les emporter dans ma tombe. Ils me serviront d’ailes. »
    Claude Margat.

Je continue ?

    « Le texte comme absolue exception parmi les préoccupations des hommes, le geste d’ouvrir un livre : irréparable invisible inexistant, l’activité de lire n’a presque jamais eu lieu, il faut chasser le gibier, labourer la terre, puiser de l’eau, il faut sauver sa peau, il fut de jour en jour survivre, il y a le soleil qui brûle, il y a la terre qui gèle, il faut ramasser du bois, il faut essayer de faire du feu, il faut se protéger contre la pluie, être chaque matin à son poste, faire ses courses, de temps en temps un rapide coït, et tourne le manège frénétique des naissances ; des décès, il faut enterrer les morts, et des paroles circulent, aussitôt dissoutes, les corps s’immobilisent, les corps pourrissent, au XVII° siècle, pendant la nuit, Spinoza écrit son livre, quelques-uns au cours des siècles feront le geste d’ouvrir son livre, quelques uns passeront des heures ; des heures devant ses pages, pendant que tourne, effréné, le manège des naissances ; des décès. »
    Lambert Schlechter

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« Chaque époque engendre ses monstres, qui sont ennemis de la pensée, de la réflexion, de la bienveillance et de la compréhension. Les monstres aujourd’hui, ce sont les puissances économiques froides et destructrices, la financiarisation du monde, la technolâtrie béate, le libéralisme mondialisé, les folies identitaires et religieuses. La lecture est une mise à l’écart provisoire de tout cela, un reflux de l’hostilité du monde, une manière de fourbir nos armes par l’étude et la compréhension, le partage et l’intuition, l’émerveillement et la résistance, le silence et la construction de soi. »
Christian Garcin

« Je pense qu’on ne devrait lire que des livres qui nous mordent et cognent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas avec un coup de poing sur le crâne, pourquoi le lisons-nous ? Un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous »,
écrit Kafka dans une Lettre à Oskar Pollak en 1904, ici cité par Lambert Schlechter.

Suivant la piste ouverte par Kafka, j’ajoute ma touche à Lire c’est vivre plus en vous invitant à découvrir la merveille parue chez Verdier en avril 2015, Prendre dates, Paris, 6 janvier – 14 janvier 2105, écrit par Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, rencontrés pendant l’été au Banquet du livre de Lagrasse. La « mer gelée » attaquée en nous par la hache qu’est ce livre, ce sont les dix-sept corps assassinés et les trois corps assassins, à Paris, en janvier 2015 — le silence qui déjà recouvre ces événements de l’hiver. Le livre est « une contribution, avant que l’histoire ne se fige et que les pages se tournent », un livre écrit à quatre mains pour répondre à l’absolue nécessité d’en passer par le langage pour remettre de l’humain sur ce qui, il y a si peu de temps encore, provoqua notre sidération.

Avant de vous quitter pour replonger dans les pages d’un autre de ces livres qui m’accompagna pendant l’été, Pèlerinage à tinker creek, d’Annie Dillard – trouvé lui aussi à Lagrasse parce qu’une amie de passage, lectrice américaine, me dit que c’était le plus beau de tous les livres qu’elle avait lus –, (Annie Dillard, dont j’ai publié quelques passages ici, de En lisant en écrivant), avant de retourner, donc, dans ce livre écrit par une femme qui s’isola dans les montagnes de Virginie après avoir réchappé d’une pneumonie qui avait menacé sa vie, avant de retrouver les dernières pages de ce bonheur d’observer grâce à elle la nature et de comprendre ce que la regarder dans ses plus petits détails nous dit de la vie et de la place de l’humain dans le monde – entre l’infiniment grand et l’infiniment petit…

… avant, donc, de vous quitter, voici David Collin et les liens qu’il fait entre écrire et lire et voyager dans Lire c’est vivre plus :
« Des pans entiers de notre imaginaire, dont nous ne soupçonnons pas l’existence, se révèlent dans la lecture telles les chambres secrètes d’un palais rêvé. Et captés par le mouvement de la lecture, emporté par notre adhésion au texte, par notre absorption entre les lignes du roman, nous déplions ces mondes, nous leur donnons vie.
Nos expériences de vie ne suffisent pas à vivre toutes les vies que nous aimerions vivre. (…) La littérature répond aux questions que nous n’osions pas nous poser, en pose de nouvelles, agrandit nos territoires intérieurs, élargit nos horizons. Le lointain est aussi à l’intérieur de nous. C’est sans doute pourquoi voyager, lire et écrire, vont si bien ensemble. »
David Collin

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Je vous écoute inventer

On l’oublie souvent, mais vivre c’est lire le monde et s’y situer, c’est inventer les histoires qui nous permettent d’exister.

« Il nous a fallu du temps, et beaucoup d’aide, pour devenir quelqu’un. Il nous a fallu des couches et des couches et des couches d’impressions reliées en histoires. Chansons. Contes. Exclamations. Gestes. Règles. Socialisation. Propre. Sale. Dis pas ceci. Fais pas cela. Bing, bang, bong. » C’est Nancy Huston, dans L’espèce fabulatrice.

Notre mémoire est une fiction. « Cela ne veut pas dire qu’elle est fausse, mais que, sans qu’on lui demande rien, elle passe son temps à ordonner, à associer, à articuler, à sélectionner, à exclure, à oublier, c’est à dire à construire, c’est à dire à fabuler. »

J’aime ce livre de Nancy Huston. J’aime quand elle construit de toutes pièces la vie d’un John Smith, (« voici un homme qui n’est ni ce que l’on appelle réel (il n’a pas historiquement existé), ni ce que l’on appeler fictif (ce n’est le personnage d’aucun roman) ; mettons qu’il est plausible ») à seule fin de nous montrer que notre identité nous vient des histoires, récits, fictions diverses « qui nous sont inculqués au cours de notre prime jeunesse. On y croit, on y tient, on s’y cramponne – alors que, bien sûr, adopté tout bébé à l’autre bout du monde, ayant appris qu’on était australien et non canadien, protestant et non juif, de droite et non de gauche, etc., on serait devenu quelqu’un de différent. »

Or, je ne peux lire ce livre sans penser au travail que je propose dans mes ateliers. Et notamment l’atelier Commencer un récit long, ou dans l’atelier Chantiers.

Dans ces ateliers qui accompagnent à la narration, vous inventez des personnages comme le fait Nancy Huston avec John Smith. Inventer ? Vous les dotez de caractères, de goûts, passions et secrets, histoires, trajectoires… et vous les rendez vivants — aimant ou haïssant, fiers ou soumis ou rebelles, heureux ou malheureux, etc… — en les faisant exister dans des scènes.

    « C’est parce que nous concevons, pensons, rêvons, inventons, racontons inlassablement amour et haine que nous sommes humains. (…) Ainsi l’amour existe-t-il aussi réellement que la haine : parce que l’imagination existe réellement. »

Votre imagination ira peut-être puiser dans les assemblées qu’on abrite… vous écrirez sans vous attarder aux différences de nature entre tous ces êtres fictifs qui nous habitent : « ancêtres, (mes arrière-arrière-grands-parents, Louis IX, Alexandre de Macédoine…), personnages de récits religieux (Jésus, Mahomet, Bouddha…), héros de romans (Robinson Crusoé, Mme Bovary). »

Et moi, texte après texte, je vous écoute inventer.

    « Pensez aux être humains qui vous sont plus ou moins proches, plus ou moins connus : vos parents, voisins et amis, les politiciens de votre pays, les commerçants de votre quartier, les acteurs de cinéma, les foules vues à la télévision… A ceux-là, ajoutez ceux que vous n’avez jamais vus, mais dont vous savez qu’ils existent ou ont existé : les fermiers du Zimbabwe, les ouvriers des centrales nucléaires russes, vos ancêtres, le frère de votre copine, (celui qui vit à Buenos Aires), Alexandre le Grand, les foules d’Italiens mortes de la peste en 1348… De tous ces humains, vous portez en vous une image plus ou moins détaillée, image que vous révisez, retouchez, réadaptez spontanément, automatiquement, chaque fois que vous retrouvez ces personnes ou repensez à elles. »

Dans les ateliers, il ne s’agit pas seulement d’écrire pour écrire, d’inventer pour le plaisir ou la fierté (même si). Il s’agit aussi d’apprendre à vivre en élargissant nos perceptions du monde et des hommes, dans le sens où le roman « nous apprend à réimaginer le monde, à voir la possibilité de changement, et à accueillir cette possibilité dans notre vie. (… ) Il est intrinsèquement civilisateur. »

Civilisateur, oui, le roman l’est ; la fabrique de fictions qu’est l’atelier d’écriture l’est aussi, dans cette recherche de la vérité de l’humain dont parle aussi Nancy Huston lorsqu’elle écrit que la fiction littéraire ne nous dit pas où est le bien ou le mal. « Sa mission éthique est autre : nous montrer la vérité des humains, une vérité toujours mixte et impure, tissée de paradoxes, de questionnements et d’abîmes. »

à sa fenêtre

Soif de mots

Vous me dites souvent, en fin d’atelier, combien l’aventure d’écrire a compté pour vous. De plus en plus je vous entends me dire aussi l’ouverture essentielle qu’a été pour vous la lecture, dans l’atelier.

Lecture…

    des textes de chacun lorsque nous en parlons après le temps d’écriture — avec ce soin très particulier de l’écoute littéraire et du respect énoncés comme règle dès le premiers instants de l’atelier.

Lecture…

    des textes littéraires donnés à voix haute pour vous inviter à vous avancer sur les chemins de votre écriture — œuvres choisies pour leur force, leur recherche, ou pour les voix vives qu’elles font parvenir jusqu’à nous à travers un livre.

Lecture…

    enfin des textes que je vous donne en vous racontant ce que leur rencontre a insufflé de souffle, de désir et de sens en la lectrice et l’accompagnatrice que je suis.

Écrire et lire dans l’atelier, ensemble. Voyager dans les mots en dialogue avec ceux que nous trouvons dans les livres. J’ai souvent raconté la place de mes compagnons auteurs lorsque je fais écrire (ces derniers temps avec Tumulte dans l’atelier, et aussi là, dans Traversée).

Aujourd’hui c’est avec Les livres prennent soin de nous que j’aimerais penser la place de la lecture dans mes ateliers. Dans cet essai, Régine Detambel raconte comment les livres nous permettent de vivre et de nous construire, de traverser les épreuves et de nous réinventer.

    « Nous ne nous comprenons que par le grand détour des signes de l’humanité déposés dans les œuvres de culture”, écrit Ricoeur. “Que saurions-nous de l’amour et de la haine, des sentiments éthiques et, en général, de ce que nous appelons le Soi, si cela n’avait été porté au langage par la littérature. »

Oui. La vie, le monde, les autres et nos affects enfouis, oubliés, peuvent nous être rapportés par un livre : il s’agit bien d’ouverture, de gain de sens, de regain de curiosité pour les histoires qui nous font signe — nous nourrissent, nous élargissent, nous transforment.

« Nous souffrons du peu d’imagination des fictions ordinaires qui nous cernent et nous tendent un miroir étriqué », écrit Detambel. Ainsi le pensez-vous sans doute aussi, vous qui parlez de la place de l’atelier dans votre vie comme d’une bouffée d’oxygène. Oxygène d’histoires et de langues qui renouvellent nos points de vue, recomposent nos expériences, enrichissent nos intuitions, nous redonnent goût à vivre en nous sortant du chaos — tant intérieur qu’extérieur.

    « Nous sommes toujours en quête d’échos de ce que nous avons vécu de façon obscure et qui parfois se révèle et se transforme grâce à une histoire, un fragment, une simple phrase. »

Dans l’atelier, la lecture d’une simple phrase fait tout à coup rencontre. Les mots d’un autre ont éclairé une vérité intérieure et ça fait ouverture, ça pousse à écrire dans le désir d’à son tour faire œuvre de mots. Alors quelque chose s’accélère, intérieurement ; quelque chose fait densification, mise en mouvement, bouillonnement… une dynamisation du langage.

Ainsi se découvrent et se fortifient de nouvelles perceptions, de nouveaux entendements. « La littérature est ce qui fermente », écrit Detambel. Le processus s’accélère bel et bien lorsque vous écoutez les textes que je vous lis avant de vous proposer d’écrire, quand la littérature nourrit et ébranle vos subjectivités qui veulent s’énoncer à leur tour en frayant leur chemin dans la langue.

    « À tout âge, la vie humaine est autocréation. Un être ne peut se comprendre, se libérer, répondre de soi que dans la mesure où il a conscience de se produire soi-même, où il se vit comme sujet de son existence.
    À tout âge, créer c’est libérer les possibilités de vie susceptibles d’accroître à la fois la puissance de la sensibilité et la jouissance du fait de vivre. »

fiction 13

Dans le jardin avec le rossignol

Oui, il était bien au rendez-vous de notre atelier Petites formes le rossignol du jardin d’Adeline Yzac, tandis que nous écrivions.

jardin

Y fut-il pour quelque chose, dans les textes qui s’écrivirent pendant les trois jours de l’atelier ?

« Dans la famille paternelle, je demande la sœur !
Ma tante Joséphine. Faite de feu, d’air, de musique, de beauté, de rire, de piano, de danse, de couture, de peinture. Très brune, yeux sombres, plutôt petite, bien faite, toute en harmonie.
Ma tante Joséphine était la meilleure amie d’Anne. Elles s’appelaient au téléphone de longues heures. Bien cachée dans le couloir, j’écoutais leur conversation. J’avais ainsi accès à des propos mystérieux… le fils de mon père… mon oncle qui était un fumier…
Pour un bal costumé, ma tante m’avait cousu une robe de Scarlett O’hara, en soie rose, avec une crinoline. Elle avait dessiné des anglaises dans mes cheveux et m’intimait l’ordre de rentrer le ventre pour avoir une taille de guêpe… « de la classe, ma fille, de la classe » me répétait-elle pendant les essayages.
Elle riait de toutes nos blagues, jouait au bridge des nuits entières, fumait un paquet de cigarettes anglaises en une soirée, lançait son cheval au galop sur les plages de Loire, orientait nos lectures, organisait des séances de chaises musicales où elle jouait au piano, nous initiait au Bouchon, au Poker, au Mistigri. Tout était jeu.
Dans la maison du jardinier, chez ma grand-mère, notre salle de jeux, elle organisait des concours de dessins. Nous étalions nos couleurs en écoutant à la radio locale l’annonce très proche de la fin du monde. C’était courant à l’époque.
Ma tante voyait la Vierge au milieu des oliviers de Toscane. Aux questions d’Anne qui lui demandait si elle y croyait vraiment, elle répondait : « J’y crois parce que ça m’arrange ».
Un soir, elle avait 46 ans, sa petite n’avait pas encore atteint l’âge de raison, elle a eu mal à la tête. Mon père est allé à l’hôpital. Le lendemain, elle est morte. La fin du monde était arrivée.
J’ai essayé d’avoir de la classe. »
F.L.

Lui, chantant au sommet du figuier tandis que vous écriviez dans son ombre… 

« Au-dessus de la longue plage d’Essaouira, des centaines de voiles de kite surf flottent dans le ciel, parenthèses colorées que le vent écrit à la mer, déclaration enflammée de vie dont les cavaliers galopant sur la plage se font l’écho. Les rouleaux se cassent en lignes de poudroiement blanc sur le rivage tandis que les chameaux cheminant en un ralenti qui semble extrême, laissent leurs empreintes profondes et larges sur le sable mouillé. Sous les mouettes tournoyantes, les chiens errants contournent les acrobaties ostensiblement spectaculaires des jeunes sur le sable. Seul le déclin du soleil fait paraître moins noires les silhouettes de ces êtres vivant à la frontière de l’Océan et du Désert; la chaleur aveuglante de la lumière zénithale tendant par sa violence à occulter toute couleur. »
Marion

cueillant l’éclat d’un souvenir… cherchant les mots qui le saisiraient, le feraient vivre…  

matériel« Les lettres
La lumière baigne les petits bureaux alignés. Au tableau, Mademoiselle Aarts installe l’image d’une fillette souriante levant la main paume vers l’avant. Dans les coins, deux petits signes.
Mademoiselle raconte la minuscule histoire du geste énigmatique : le « A » de surprise d’une enfant devant son gâteau d’anniversaire. C’est le geste qui accompagnera pendant des semaines tous les a que tu liras.
Tu viens d’entrer dans les histoires de lettres.

Et maintenant…
Les grandes personnes ont dit : « Avec cette méthode, ils arrivent à lire le journal à Noël ! »
Ton petit poing fermé, poignet fléchi, sait accompagner verticalement le souffle de la vibrante lettre mmm… comme meuh ! L’index droit au coin de la lèvre saisit le i et tu peux souffler le « pe » de la plume de pigeon sur le dos de ta main bien horizontale.
Les pluies d’octobre te propulsent vers ton trésor d’images animées : tu agrippes la grande couverture bleu roi qui relie un épais kilo d’histoires de Mickey déjà décousues par mille explorations. Enfin arracher son secret à la première vignette !
Mais c’est quoi ça, « E-t » ? Et c’est quoi « mmm-ah-ih-nnn-t-… »
Ah, c’est enrageant ! »
Régine Michel Stevens

           Vous… glissant vos textes dans le dessin d’une main pour resserrer, épurer…  

qu'est-ce que c'est ?

« Le canal du midi
Le soleil se couche. Des saules déversent leurs branches pour se rafraîchir de l’ardeur du soleil, des aulnes, des roseaux, des canards, des poules d’eau, des hérons chassent ou cherchent logis pour la nuit. Les berges fleuries profitent de la tiédeur pour répandre leurs odeurs. Un bateau glisse sans bruit sur l’eau. Une femme assise à l’avant écrit sur un carnet et observe jumelles à la main.
Elle se lève subitement, s’appuie sur le balcon pour offrir tout son corps au vent. La voilà criant et faisant de grands gestes. A qui ?
Là haut sur le pont, un passant enjambe le parapet. Homme ou femme ? A contre-jour, il est difficile de le savoir. Il-elle ne semble pas habillé. Mais que fait-il ? La femme s’agite, court à l’arrière. Un homme sort de la timonerie. Fait des gestes lui aussi. Rentre, fait fonctionner la corne de brume. Il-elle ne tient pas compte de leurs agissements. Les entend-il ? Les voit-il seulement ?
Le bateau avance. La femme retourne à l’avant, hurle. Il-elle se penche dangereusement. Le bateau s’engage sous le pont. La femme entend un bruit sourd derrière elle. Elle se retourne. Elle voit un bouquet de fleurs avec à la base un mot attaché à une pierre : Bonne fête maman ! »
Isabel

Nous… écoutant vos trouvailles et mesurant l’exigence de la petite forme, le nécessaire retravail…

inspiration ?

« La pattemouille
Bien avant le premier bâillement des enfants sous leur moustiquaire, la douce mélodie de Joseph fuitait de la cuisine, et célébrait une aube nouvelle. L’empreinte des tams-tams de la nuit rythmait ses gestes précis : ouvrir le fer, y déposer le charbon de bois, y mettre le feu en craquant une allumette à l’odeur de soufre ; souffler sur les braises naissantes et au besoin s’aider d’une feuille de bananier pour accélérer la combustion ; refermer le couvercle dans le claquement sec d’un bec ; cracher juste ce qu’il faut de salive sur la semelle placée à hauteur du visage ; attendre la réponse sonore du crépitement sur la fonte et la goutte qui s’échappe en sifflant ; déposer le fer sur la liasse de papier journal recyclé pour l’occasion; coucher le pantalon et l’ouvrir en grand écart sur le molleton blanc puis, dans l’eau qui s’écoule dans la cuvette en zinc émaillé, abandonner ses mains aux veines saillantes, à la fraicheur éphémère; tremper le tissu effrangé dans l’eau claire et lui donner une autre vie ; l’essorer et le déployer en le lissant du côté blanc de la main sur la jambe du pantalon ; guider le monstre d’acier dans sa fumigation sur le carré asséché ; passer à l’autre jambe…
Je m’étais glissée la première dans les lueurs incandescentes, contournant prudemment la cloison, me hissant de mes un mètre dix sur la pointe des pieds dans l’encadrement du petit fenestron duquel s’échappaient des volutes de vapeur. La mélopée avait repris. Elle disait la longue histoire de l’esclavage. De son œil unique — l’autre était tout blanc –, Joseph me fixa. Tandis que je regardais le côté noir de sa main, il se mit à scander à plein poumons : pattemouille ! Main noire, main blanche, couleurs de la liberté. Ta main, mon ami. »
Louise Poche

Oui, tout comme l’année dernière à la même époque, l’écriture fut bien au rendez-vous du rossignol dans ce jardin.

« L’écriture tisse le patchwork de notre expérience jusqu’alors disloquée. Notre rapport au monde et aux autres se fait kaléidoscope très lentement et précautionneusement tourné par l’enfant qui s’applique en nous à dessiner un chemin de conquistador intime, secret. Il s’agit d’empoigner, muni de pincettes à nuances, la palette sensorielle et d’en déployer les retentissements internes sur le papier. Retrouver en soi l’empreinte de l’éponge alors qu’elle a séché. Fixer le sable qui s’écoule et l’instant qui s’efface. Composer le petit tableau de mots en filigrane visant l’apparition en décalcomanie du sens. Recueillir dans la patience des attentes obscurément entretenues le suc des couches profondes de la mémoire. Aller creuser le gisement résiduel des disparitions vivaces, des voix tues qui nous habitent dans nos perceptions les plus quotidiennes, mais dont la conscience s’estompe dans le palimpseste des années.
« Écrire pour ne pas mourir » chante Colette Magny. »
Marion

Tumulte dans l’atelier

Le soleil est au rendez-vous de notre dernier week-end d’atelier

il traversera l’atelier de part en part — se glissera le matin par la vitrine donnant sur rue, s’invitera à notre table l’après-midi par la fenêtre donnant sur cour — tandis que nous poursuivons notre travail d’écriture en compagnie des auteurs et des livres.

Chaque fois je suis venue avec des livres qui avaient fait rencontre. Cette fois-ci je vous ai proposé de jouer à votre tour en venant avec des livres aimés : vous en parlerez demain pour éveiller vos compagnons de l’atelier au désir de les lire. Puis vous explorerez l’ouvrage que vous aurez choisi en attendant que quelque chose dans le livre vous appelle ; vous cheminerez avec le livre jusqu’au moment où le goût de lire se transformera en désir d’écrire.

N’est-ce pas ce que je cherche, venant avec mes livres aimés dans l’atelier ? N’est-ce pas ce qui vous a conduit à dire de notre atelier qu’il était littéraire parce qu’il vous redonnait le goût de lire, cet appétit ?

Avec Tumulte

Aujourd’hui c’est avec Tumulte, de François Bon, que je vous propose d’écrire.
Tumulte « résulte de la contrainte d’une écriture quotidienne, non préméditée, réalisée directement sur serveur Internet, du 1er mai 2005 au 11 mai 2006. » Ce qui m’intéressait, c’était « la prise de risque de sa forme par sauts, la contrainte, l’obligation de prendre et sauter » qui font de cette écriture « une expérience narrative en temps réel. »
Et cet autre risque : François Bon faisait le projet de ne garder aucune trace du texte une fois l’expérience terminée.

    110. Portrait de moi en perdu
    de l’écriture
    Au début je voulais faire ça sur un an et fini, je m’étais même engagé à effacer le site rassemblant ces textes, le faire exploser par WIFI en direct du 32 Faubourg Montmartre où est mort Lautréamont. Je voyais une sorte de fête, avec quelques copains (…). On connecterait mon petit ordinateur gris sur le réseau, de là sur mon hébergeur ovh.com, et nous verrions en quelques dizaines de secondes le petit rectangle gris de l’effacement avancer. Ensuite nous irions boire et manger.

François Bon — ce bruit de la langue confrontée à elle-même dans ce brassement de cailloux du monde. Il s’agirait donc de lancer les mots sur la page comme il les lançait chaque jour vers le grand dehors, de les lancer pour saisir des bribes du réel qui nous échappe, des fragments du monde, l’interrogation d’un élan d’écrire — sans perdre de vue l’inquiétude sur le langage qui traverse Tumulte.

    1. Rien n’avait changé
    non pas colère, une inquiétude plutôt
    Dans ce pays, on avait perdu la langue. Oh, des mots, il y en avait comme ailleurs.
    Les mots sur les murs, les mots de la radio, les mots de la télé, du cinéma, les mots du travail.
    C’est à ce moment-là qu’il aurait fallu réagir.
    (…) À quel moment on a su que ce pays n’avait plus de langue ?
    Tu pouvais parler, quand même, sûr : simplement, qui écoutait, qui répondait ?
    On était sur des chemins parallèles : bien sûr, tout continuait. Ça parlait autant, ça parlait pareil. Peut-être même encore plus fort.
    Ce pays n’avait plus de langue, et rien n’avait changé.

« Hier j’ai acheté des fleurs. Ce n’était pas prémédité. J’achète des fleurs parce que j’aime le moment précis de l’achat, déclencher la sonnette en franchissant la porte, être baignée dans cette odeur presque écœurante, être étourdie par le luxe de couleurs, échanger avec le couple de fleuristes qui travaille 7 jours sur 7 de 9h à 20 h l’hiver et 21h30 l’été, que je connais bien depuis 20 ans, mais uniquement de cette façon. J’aime traîner légèrement en feignant de décider quelles fleurs associer, j’aime enfin repartir, faire tinter à nouveau la sonnette chargée de cette brassée sélectionnée et grossièrement emballée dans ce papier marron, parce que c’est pour la maison.
Hier ma fille a aussi acheté des fleurs ; quatre jacinthes bleues, parce qu’elle les a trouvées très belles en passant et qu’elle avait des pièces dans sa poche. C’est inhabituel. Ça ne s’est même jamais produit. »
C.G.

    46. Je ne lis plus le journal
    de l’écriture
    Je ne lis plus le journal. On croit voir le monde, on croit entendre son bruit. C’est la fin de la journée, on s’est assis dans le train. Les mots arrivent du monde en paquets gris. Ce matin ils étaient presque les mêmes. Ils ont choisi les mêmes titres. On bascule par séries, le dedans, le dehors : les frontières ne sont pas automatiques. On s’abstrait de soi-même, et du dehors on vous parle ministres, et puis guerres, argent, fusion économique : des nombres. Il y a les pages potins, c’est la culture avec les films, et des nouvelles des livres : ils collent des adjectifs sur les livres dont ils sont obligés de parler. Une masse sombre de chiffres, et si la plume est bonne, un fragment de vie épars : depuis des années, le matin, je passe un bref moment sur les sites des grands journaux. Je copie du matériel. (…)
    Depuis plus de cinq ans je stocke ces articles, parfois sans les lire en détail, dans un grand fichier traitement de texte. Quand j’arrive à un million de signes (mille cinq cent pages), j’en ouvre un autre. J’en suis au cinquième. C’est devenu une sorte d’encyclopédie indifférente aux dates, à l’actualité. Cherchez pompier, infirmière, pantalon, charbon et vous aurez cinq ou quinze qui reviennent.

« Faire la liste de ce que l’on commence à savoir faire : changer un vol d’avion pour un autre sur un site internet, et l’annuler ensuite pour le train ; choisir du vin ; monter les quatre étages à pied d’un seul coup sans s’essouffler (je peux donc continuer à fumer) ; écrire en ne regardant plus le clavier ; ne plus stresser à la place des gens qui viennent déverser leur stress dans votre bureau ou le soir par téléphone ; faire un tajine ou une tarte à la tomate et au thon sans regarder la recette ; recoudre un bouton. »
Delphine Regnard

    Garder cette torsion du surgissement, de la marche à tâtons.

« Chaleur…
Dans une salle de danse classique. Entre deux barres.
Étonnement et bouleversement d’un temps au beau fixe d’avril… et cette conscience qui l’accompagne dans l’immédiat d’un corps lourd. Lourd par rapport aux rayons de lumière fragiles et entrecroisants, par rapport à la chaleur glissante du parquet, par rapport aux battements fougueux des courbes adolescentes… par rapport… La lourdeur serait-elle toujours ainsi, par rapport ?
Dans le choc d’un miroir inversé, on réfléchit, alors, de manière… classique.
Le corps. Mon corps – celui d’une femme de quarante deux ans, investissons le pronom mon – mon corps, donc, est lourd parce qu’il n’a pas eu bien le temps de s’échauffer.
De la question de la préparation, artificielle mais essentielle… Je ne peux en faire l’économie, de la préparation.
Oui, cela peut, bien sûr, être une raison, voire la raison.
Mais pour en revenir au rapport.
Regardons. »
E.D.

    Il se crée des séries. On ouvre une trappe autobiographique, un lieu, une époque, un paysage, et il s’enchaîne d’autres images, d’autres perceptions, autour de ce qu’on a ouvert. Il faut les attendre.

« Elle est debout à gauche de l’image, vêtue d’une chemise à carreaux écossais. À sa gauche, trois rangées de gamines âgées d’une dizaines d’années, une à genoux, la seconde assise et la dernière debout. Les regards retiennent éclats de rire, moquerie, un peu d’ennui. Tout autour la cour de récréation est soigneusement rangée. Derrière ce petit groupe, la porte vitrée à petits carreaux reflète le dos de celles qui sont debout, mêlant les couleurs de leurs blouses anonymisées. »
Véronique

    5. Un bruit dessous de machine
    de l’écriture
    (…) Un texte qu’on reprendrait ainsi chaque matin sur une très longue durée et qui capterait la totalité de ce qu’on peut imaginer ou penser. Un texte qu’on pourrait prendre à n’importe quel endroit du bloc et se laisser prendre par ce qui s’énonce et recompose, chaque fragment indépendant de tous les autres comme d’une ville qu’on décrirait dont chaque lieu indiffère à tous les autres, et parfois même d’un côté d’une rue à l’autre, et qui ensemble constituent pourtant, indissociables, la ville.

« Ce matin, je dois faire des provisions de médicaments chinois. J’ai le nom de la rue et la description du trajet pour la trouver. C’est près du métro Belleville.
Provisions faites, je sors de la boutique, je découvre qu’il fait presque beau, un temps pour marcher à pieds qui s’offre à moi. Je me souviens que j’adorais ça, tracer des lignes de marche dans la ville, cela fait longtemps que ça ne m’est pas arrivé ; traverser les quartiers, éprouver les strates de la ville. »
Anne Marie

    51. L’écriture comme divergent
    de l’écriture
    (…) Il ne s’agit pas seulement d’accueillir, comme dans le journal, ce qui est la pulsion du jour, ou ce qui vous pousse à remplir la case proposée tour à tour avec un souvenir, une histoire, une réflexion. Je n’ai pas de volonté d’écrire. Il y a ce trou en avant, et ma seule tension, mon seul vecteur d’intensité mentale, c’est comment cette case peut me déporter ailleurs que dans la seule continuité, ou différemment que dans la seule accumulation horizontale.

« Spirale, coquille d’escargot, complexe et si simple…
Univers matérialisé se déroulant lentement et pourtant si lumineusement rapide, vers aucun but visible, tournant autour du centre en s’en éloignant à chaque tour.
La spirale, cette vie à tourner autour de nous, s’éloignant de l’origine, regardant en avançant le tracé des années qu’on laisse sur le côté mais qui restent à l’intérieur.
Tourbillon du temps qui reste en mémoire comme un labyrinthe permettant quelques connexions entre passé et présent, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, la spirale fossile et le tourbillon galactique. »
C.J.

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Le lendemain, encore nourris de la rencontre avec Tumulte, c’est à vous de nous parler de vos livres. Nous découvrons la moisson :
Sylvie Germain, Tobie des marais
Valérie Rouzeau, Pas revoir
Jeanne Benameur, Les demeurés
Lydie Salvayre, La compagnie des spectres
Philippe Jacottet, L’encre serait de l’ombre
Emmanuelle Pagano, Ligne & fils
Albert Cohen, Le livre de ma mère
Charles Juliet, Moisson
Louis Aragon, Aurélien
Michaux, L’espace du dedans
Lydie Salvayre, Sept femmes
Giuseppe Ungaretti, Vie d’un homme
Collarda Sapienza, L’art de la joie
Muriel Barbery, Une gourmandise
Augustina Bessa Luis, Le confortable désespoir des femmes
Jonathan Franzen, Les corrections

Et maintenant, vous qui nous avez passé du désir pour vos livres de coeur, vous écrivez avec le livre apporté par un autre.

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